Dans le sol en ville, à la campagne, en forêt

Un réservoir de résistance bactérienne

Publié le 19/01/2006
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APRES LA découverte fortuite de la pénicilline en 1928 et de la streptomycine en 1943, l’industrie pharmaceutique a prospecté des milliers d’échantillons de sol à la recherche d’antibiotiques produits par les bactéries du sol. La plupart des antibiotiques utilisés aujourd’hui en clinique sont issus de ce fructueux effort (érythromycine, gentamycine, tétracycline, chloramphénicol, vancomycine, par exemple).

Une nouvelle étude, conduite par D’Costa et coll. (McMaster University, Ontario), révèle l’autre face du paradigme antibiotique : si les bactéries du sol produisent des antibiotiques, elles possèdent également des mécanismes de résistance pour se protéger.

Un redoutable arsenal en puissance.

Comme l’expliquent les chercheurs, «les bactéries du sol produisent et rencontrent une myriade d’antibiotiques, et développent les stratégies correspondantes de détection etd’évasion. Elles constituent un réservoir de déterminants de résistance qui peuvent être transportés dans la communauté microbienne».

Ces gènes de résistance représentaient un redoutable arsenal si on les retrouvait dans des bactéries pathogènes humaines. Il a été suggéré que le mécanisme de résistance aux aminoglycosides et les déterminants de la résistance à la vancomycine sont probablement issus des bactéries du sol qui produisent ces antibiotiques.

«Par conséquent, une compréhension des déterminants de résistance présents dans le sol (le résistome du sol) pourrait aider à prédire les futures émergences de résistance clinique et guider le développement de traitements pour contrer cette résistance», soulignent-ils.

Afin de mieux comprendre le potentiel de résistance dans le sol, les chercheurs ont isolé à partir de divers types de sol (urbain, agricole, forestier) quelque 480 souches de bactéries Streptomyces, l’espèce qui synthétise plus de la moitié des antibiotiques connus.

Plus de vingt antibiotiques ont été testés sur ces souches, aussi bien des antibiotiques naturels (érythromycine, vancomycine) que des dérivés semi-synthétiques (minocycline, céphalexine) et des molécules de synthèse (ciprofloxacine) ; ces antibiotiques couvraient toutes les cibles bactériennes majeures ; certains étaient depuis longtemps sur le marché, d’autres, seulement introduits récemment (télithromycine, tigécycline).

Les tests ont été conduits à de fortes concentrations d’antibiotiques et toutes les souches du sol, sans exception, se montrent multirésistantes à sept ou huit antibiotiques en moyenne. Aucun antibiotique n’est épargné.

Des mécanismes de résistance inédits.

Un certain nombre de mécanismes de résistance identifiés sont inédits. Par exemple, 40 % des souches isolées peuvent inactiver de façon enzymatique la rifampicine (antituberculeux), alors que la résistance clinique à la rifampicine repose sur des mutations ponctuelles dans un gène bactérien.

Certaines souches sont également capables d’inactiver, par mécanisme enzymatique, le Synercid, un antibiotique approuvé récemment pour les bactériémies résistantes.

La plupart des souches sont résistantes à la daptomycine, un antibiotique récemment introduit pour les infections de la peau et des tissus mous.

De façon surprenante, bon nombre de souches sont résistantes à des antibiotiques de synthèse, comme la ciprofloxacine et le linézolide.

Enfin, les souches Streptomyces résistantes à la vancomycine (antibiotique de choix pour les infections staphylococciques résistantes) montrent le même mécanisme de résistance qu’en clinique.

«Bien que cette étude n’apporte pas la preuve d’un transfert direct des éléments de résistance du sol vers des bactéries pathogènes, notent les chercheurs, elle identifie une densité et une concentration jusqu’à présent sous-estimées de résistance aux antibiotiques dans l’environnement.»

«Une résistance capable d’atteindre la clinique», ajoute, dans un communiqué, le Dr Wright.

«La surveillance des mécanismes de résistance pourrait aider à élucider les nouveaux mécanismes susceptibles d’ émerger cliniquement et servir de fondement pour le développement de nouveaux antibiotiques», concluent les chercheurs.

« Science », 20 janvier 2006, pp. 374 et 342, D’Costa et coll.

> Dr VERONIQUE NGUYEN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7881