La douleur viscérale provoquée par la distension rectale induit une activation de plusieurs zones du cortex somatosensoriel. L'imagerie par résonance magnétique nucléaire en tenseur de diffusion permet de mettre en évidence un réseau de la nociception. Les explications du Dr Jean-Marc Sabaté.
LES RESEAUX de la perception et de la nociception somatiques sont assez bien connus. Il n'en va pas de même des voies de la sensibilité et de la douleur viscérales, qui ne le sont qu'imparfaitement, alors que les douleurs abdominales fonctionnelles, en particulier intestinales, concernent les quelque 5 à 20 % d'individus de la population générale qui souffrent d'un syndrome de l'intestin irritable (SII). De nombreux progrès ont été réalisés dans la connaissance de la physiopathologie de ces troubles fonctionnels digestifs, et de nombreuses études ont été consacrées à l'exploration de l'axe cerveau-intestin. Plusieurs neurotransmetteurs ont été identifiés au niveau des voies afférentes d'origine digestive et des voies efférentes. Ils contrôlent les fonctions digestives, sécrétoires et motrices. Néanmoins, aucun examen ne permet actuellement d'objectiver les anomalies associées aux troubles du transit et aux douleurs abdominales de ce syndrome, premier motif de consultation en gastro-entérologie, qui constitue également une préoccupation quotidienne pour le médecin généraliste.
Il semble actuellement acquis que la sensibilité du tractus digestif est principalement assurée par les voies du système nerveux autonome. Dans la paroi intestinale, des terminaisons nerveuses libres répondent aux stimuli mécaniques et chimiques de façon dépendante de l'intensité et font leur premier relais dans la moelle épinière. Les voies ascendantes principales remontent jusqu'à la substance réticulée et au thalamus. Le faisceau spino-thalamique, relié aux cortex somesthésiques primaire et secondaire, assure le caractère sensori-discriminatif, tandis que le faisceau spino-réticulo-thalamique se projette sur les cortex insulaire, cingulaire et orbitofrontal, intervenant sur le caractère affectif et émotionnel de la perception.
Des zones cérébrales activées lors de la distension rectale.
L'imagerie par résonance magnétique nucléaire est un outil qui permet l'exploration du cerveau normal ou pathologique. Elle permet d'appréhender les fonctions physiologiques et/ou les processus physiopathologiques. L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) permet l'étude du fonctionnement du cerveau. A l'aide de cette méthode d'exploration, il est possible d'identifier de manière non invasive les zones du cortex qui sont activées lors d'une stimulation donnée, les résolutions spatiale et temporelle étant excellentes.
Des travaux ont permis de montrer que différentes zones cérébrales sont activées en cas de distension rectale. Ainsi, chez 12 femmes en bonne santé, d'âge comparable à celui des patientes vues en consultation pour intestin irritable, c'est-à-dire 38 ± 3 ans, l'exploration en IRM fonctionnelle a montré que les activations neurales provoquées par une distension rectale non douloureuse, perçue comme une sensation de gaz, provoquent une activation bilatérale au niveau du cortex préfrontal, de l'aire cingulaire antérieur et de l'insula gauche. Ces différentes régions interviennent dans la régulation réflexe du système nerveux autonome et n'impliquent pas de localisation consciente de cette stimulation. Une deuxième distension destinée à entraîner une sensation de douleur abdominale diffuse a été provoquée chez les mêmes sujets. Elle a entraîné une activation bilatérale des cortex somatosensoriels primaire et secondaire, du cortex moteur, du gyrus frontal inférieur, du thalamus, de l'insula, du striatum et du cervelet. Cette activation est peu localisatrice, mais la douleur a néanmoins induit également une réponse motrice. Au total, la douleur viscérale induit une activation des cortex somatosensoriels et du cortex prémoteur, ce que ne provoque pas une perception viscérale non douloureuse. Elle s'accompagne d'une activation préfrontale et cingulaire moindre.
Des liens fonctionnels, mais aussi anatomiques.
Une technique d'imagerie, faisant appel au tenseur de diffusion, permet de visualiser la position, l'orientation et l'anisotropie des faisceaux de matière blanche du cerveau. La « diffusion » correspond aux mouvements browniens des molécules d'eau. Elle peut être mesurée dans le cerveau et peut apporter des informations sur l'organisation des faisceaux de myéline. En effet, ces mouvements browniens sont plus rapides dans l'axe d'orientation de ces fibres, ce qui constitue le fondement du tenseur de diffusion. En effet, l'architecture des axones est organisée en faisceaux parallèles, comme leur couche de myéline, ce qui facilite la diffusion des molécules d'eau le long de leur axe. La mise en oeuvre d'un algorithme vectoriel de proche en proche permet ensuite de reconstituer les faisceaux de fibres par « tractographie ». Cette technique a permis de constater pour la première fois que les zones détectées par l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle sont également reliées entre elles sur le plan anatomique. Ainsi, il existe chez l'homme un lien direct entre le cortex somatosensoriel secondaire et l'insula, entre l'insula et le cortex cingulaire antérieur, ainsi qu'entre l'insula et le cortex préfrontal.
Au total, la douleur viscérale induit une activation des cortex somatosensoriel et moteur, à la différence d'une perception viscérale non douloureuse. L'analyse en tenseur de diffusion met en évidence un réseau anatomique de la nociception centré sur l'insula. Une étude en cours chez des patientes atteintes de syndrome de l'intestin irritable permettra de vérifier si ce syndrome est associé à des modifications cérébrales, fonctionnelles ou anatomiques, de ce réseau de la nociception.
D'après un entretien avec le Dr Jean-Marc Sabaté (hôpital Louis-Mourier, Colombes).
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