PRÈS DE LA MOITIÉ des habitants de la planète sont en surpoids. Plus on est pauvre, plus on est gros, et le phénomène s'accélère avec des obésités de plus en plus précoces. Les politiques de prévention se multiplient, avec des résultats médiocres. Alors que la consommation de calories a baissé depuis les années 1960, notre tour de taille n'a cessé d'augmenter. Chez les bébés, l'indice d'adiposité augmente sans que l'on puisse seulement incriminer le déséquilibre du rapport dépenses énergétiques/ingestat. Sans contester la légitimité d'un apport calorique qui n'excède pas les dépenses et la nécessité de bouger plus, l'agronome Pierre Weill propose une autre lecture de cette épidémie.
Premier constat : en cinquante ans, notre environnement et notre mode de vie ont radicalement changé sans que notre patrimoine génétique ne suive le mouvement. Les ravages provoqués par un décalage entre un patrimoine génétique stable et des changements drastiques de mode de vie sont connus. Les 75 % d'adultes pimas (les rescapés) en surcharge pondérale ou obèses, avec un taux de diabète le plus élevé du monde, n'en sont qu'un exemple. La vie quotidienne de notre ancêtre du paléolithique Lucy n'a en effet pas grand-chose à voir avec celle de sa descendante citadine Lili, fille d'agriculteurs du XXIe siècle, qui fait ses courses au supermarché discount et mange sur le pouce des surgelés le soir devant sa télévision. Deuxième constat : la production agricole des sociétés industrialisées a radicalement changé, générant des déséquilibres d'apports, particulièrement en matière de graisses polyinsaturées.
Pierre Weill, connu pour ses travaux sur les liens entre mode de production agricole et santé, conte avec talent cette histoire de la nutrition humaine et la bataille d'aujourd'hui contre le surpoids. Passant avec savoir-faire des études épidémiologiques et cliniques sur l'obésité et les troubles métaboliques à l'analyse de l'agriculture contemporaine comme au récit poétique de la vie paysanne et du monde agricole, l'auteur parvient à nous passionner pour la chaîne alimentaire comme pour le décryptage des étiquettes ou les gènes de stockage des graisses et des sucres transmis par Lucy. Pour expliquer que nous sommes ce que nous mangeons et que nos choix alimentaires ont un rapport direct avec nos choix de société.
Prise de conscience citoyenne.
C'est également à une prise de conscience qu'il invite le citoyen-consommateur, soulignant les liens entre environnement et alimentation, agriculture durable et santé des animaux, santé des animaux et santé des hommes, diversité des écosystèmes et cohérence de la chaîne alimentaire. Un exemple parmi d'autres : il a fallu voir apparaître la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour que le danger de l'alimentation des ruminants par des protéines animales ne soit plus contesté par personne. Aujourd'hui, le régime maïs-blé-soja, généralisé à tous les animaux, est encore peu critiqué. Pourtant, explique Pierre Weill, il produit une viande riche en graisses saturées et pauvre en oméga 3. Un lait dont la composition est différente aussi. La recommandation « moins de graisses animales saturées et athérogènes » a logiquement poussé les consommateurs soucieux de la santé de leurs artères à se reporter sur les graisses végétales. La consommation de ces huiles végétales a donc, pour partie, supplanté celle des graisses animales, mais ce report s'est fait au profit des huiles de palme et, dans une moindre mesure, de soja, partiellement ou totalement saturées, donc athérogènes ! Elles sont particulièrement présentes dans l'alimentation industrielle. Notre contemporaine Lili, soucieuse de sa santé et de sa ligne, ne mange d'ailleurs plus de beurre, mais beaucoup d'huile végétale saturée. Du poisson aussi, mais souvent d'élevage (fins de mois difficiles), et pauvre en oméga 3. Quand elle croit bien faire avec un repas léger composé d'une petite cuisse de poulet nourrie au maïs, accompagnée d'une salade assaisonnée à l'huile de tournesol et d'une biscotte à l'huile de palme, elle consomme en fait une ration alimentaire dont le rapport oméga 6/oméga 3 est autour de vingt (pour un rapport recommandé de cinq).
Bref, explique Pierre Weill avec force arguments et détails, en bouleversant l'agriculture et l'élevage, nous entretenons, quand nous ne créons pas, ces maladies métaboliques. La solution ne peut être de revenir à la chasse au mammouth comme Lucy, mais de protéger la santé des animaux pour améliorer celles des hommes, en nourrissant, par exemple, les animaux d'élevage avec des graines de lin (comme cela se fait dans certaines filières, dont la filière Bleu-Blanc-Coeur), en favorisant la diversité alimentaire (qui préservera aussi celle des paysages de nos campagnes), en respectant la cohérence de la chaîne alimentaire. La prise de conscience doit être individuelle et collective ; comme les solutions proposées, car l'amélioration de la qualité de l'alimentation doit se faire sur des produits de masse, souligne Pierre Weill, pour éviter que ne se creuse encore cet écart entre des populations riches qui peuvent avoir accès à une alimentation de qualité et les autres.
« Tous gros demain ? 40 ans de mensonges, 10 kilos de surpoids », Plon, 245 pages, 18 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature