COMMENT représenter la complexité de cet objet virtuel qu'est la relation du médecin et de son patient, que les libéraux d'Ile-de-France ont jugé, par un consensus général, être la chose la plus précieuse de leur pratique ? Le Dr Bernard Huynh, président de l'Urml, explique : « Au XVIe siècle, Rembrandt peignait les bourgeois d'Amsterdam, fiers d'effectuer leur tour de garde armés de leurs cuirasses et de leurs armures. Ce temps est révolu, mais nous sommes fiers de cette relation partagée avec nos patients dont nous sommes un peu les orfèvres. Aujourd'hui, nous avons des artistes du virtuel qui sont capables de montrer des choses moins tangibles que des armures. » Patrick Corillon est de ceux-là. Depuis près de quinze ans, ce plasticien, né à Knokke-le-Zoute (Belgique) en 1959, explore les voies de la fiction pour tenter de rendre visible l'invisible et d'éveiller chez chaque spectateur des images mentales qui le renvoient à son propre réel. Authentique artiste de la scène contemporaine, il a accepté le projet et y travaille depuis un an. « Ce qui m'a touché dès la première réunion, c'est l'interrogation sur l'épaisseur de la relation patient-médecin. N'étant ni médecin, ni historien, ni journaliste, j'ai tenté de travailler dans l'épaisseur de cette relation. Le rapport à la maladie fait partie de toute vie d'homme et nous devons l'assumer. Il nous révèle à nous-mêmes », explique-t-il.
Vidéo et images d'animation.
L'installation qu'il a conçue mêle vidéos, photographies et images d'animation pour une plongée dans l'inconscient d'un rapport sur lequel « chacun à son mot à dire, ses propres histoires, ses propres images », dit-il encore, lui qui tout le long du processus de création s'est nourri des récits de ses amis, des témoignages glanés dans les livres et sur Internet où, assure-t-il, « existent de nombreuses anecdotes de médecins sur cette relation ». L'exposition qui ouvre ses portes demain (du 19 mars au 14 avril) à la maison de Radio France* s'adresse à tous, adultes ou enfants, médecins ou non-médecins, malades et bien portants. Le parcours en trois temps est une succession de trois univers que nous explorons grâce à un guide virtuel, le médecin Hippocratia. Celle-ci, exténuée par une journée de consultations qui a duré un peu plus tard que prévu, s'est endormie sur le clavier de son ordinateur alors qu'elle se proposait d'écrire une série de témoignages sur la relation qui l'unit à ses patients. Ainsi commence le film d'animation de la première salle, avant de nous offrir un voyage onirique dans les pensées d'Hippocratia. Le regard est subjectif et invite à un bain dans l'inconscient rythmé par des images plutôt abstraites et des sons mimant ceux du corps. Dans la deuxième salle, la salle d'attente, sous le regard circulaire d'Hippocratia, de grandes affiches mettent en image différents états ponctués par des textes courts et 24 articles du code de déontologie. Les seize histoires courtes ont été écrites par Patrick Corillon, un peu comme des « fables fondées sur la réalité quotidienne avec juste le petit décalage qui leur donne une portée plus symbolique que documentaire ». L'une d'elle raconte l'histoire de Mme M. « Lorsque vint le moment d'annoncer de mauvaises nouvelles à Mme M., le Dr C. espéra qu'un long silence parlerait à sa place. Mais Mme M. ne prit pas conscience de la gravité de la situation. Au contraire, c'était la première fois qu'elle rencontrait un silence d'une telle qualité. Un silence dont l'intensité lui permit de reprendre son souffle dans une vie qui jusque-là ne lui avait pas permis de respirer. » Les médecins de l'URML assurent que chacune de ces histoires évoque pour eux une réalité, ils s'y reconnaissent.
La troisième salle est une incitation à l'interactivité. En un clic, à l'aide d'une souris, le visiteur peut entrer dans chaque fiction. Les images sont souvent hantées par les lettres du clavier du guide-médecin, car « la maladie relève aussi de nos fantasmes, de nos angoisses, et le rôle des mots y est extrêmement important ».
Dans la fiction de Patrick Corillon, le médecin est un personnage articulé avec d'immenses yeux et de multiples bras, et le patient, un 8, tout en rondeurs, symbole de l'infini, dans lequel plongent les instruments du praticien. « La fin du film en dit plus, avoue-t-il. Mais j'aime bien l'idée que le patient puisse se voir dans les yeux du médecin. »
Avec pour sujet la relation patient-médecin, plutôt que médecin-patient, l'exposition propose un renversement du regard ouvert sur la ville, dans ces lieux d'ancrage que sont la radio ou le métro. Depuis le 8 mars et jusqu'au 8 mai, les images et des récits de la deuxième salle peuvent être vus sur les quais de la station Pasteur (ligne 6). Enfin, un grand débat organisé à l'amphithéâtre 1 de la faculté de médecine de Necker** sur le thème « Comment se faire entendre par son médecin ? » sera retransmis sur France Inter.
* 116, avenue du Président-Kennedy, 75016 Paris.
** 156, rue de Vaugirard, 75015 Paris. Métro Pasteur.
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