Constitués en mars 2001, dans le cadre du protocole d'accord signé un an plus tôt entre Martine Aubry et les syndicats de praticiens hospitaliers, des groupes de travail ont planché pendant plusieurs mois sur l'organisation de la chirurgie.
Réunissant les représentants du ministère de la Santé, des syndicats de praticiens, de la Fédération hospitalière de France, de l'Ordre des médecins, de diverses institutions (mais pas ceux des cliniques, ce qui ôte une partie de son intérêt à ce travail), ces instances ont rédigé un rapport que s'est procuré « le Quotidien ». Leur verdict est sans appel. « La situation et les perspectives de la chirurgie en France appellent des décisions rapides, compte tenu d'un contexte qui n'autorise pas le statu quo », écrivent les auteurs du rapport.
Les auteurs suggèrent donc que les prochains schémas régionaux d'organisation sanitaire qui vont commencer à être élaborés comprennent pour chaque région un « plan chirurgie ». Selon eux, cela est d'autant plus urgent que l'état de lieux qu'ils dressent est particulièrement inquiétant.
En ce qui concerne l'évolution de la démographie de la profession, les auteurs, reprenant un constat déjà établi ces dernières années, soulignent que « l'évolution plutôt à la baisse des effectifs va se trouver accentuée par un phénomène déjà patent : celui de la spécialisation ». Les chirurgiens ayant une capacité à effectuer des actes généraux, même s'ils ont une spécialisation, seront de moins en moins nombreux. Conséquence : « Les hôpitaux qui fonctionnent avec 2 ou 3 chirurgiens de spécialité différentes, mais capables de prendre des gardes générales, risquent de ne pouvoir survivre en l'état. »
D'autant que les conséquences de la réduction du temps de travail se feront sentir, notamment dans les services qui accueillent les urgences. Les représentant des syndicats des praticiens hospitaliers participant à ces groupes de travail ont fait remarquer que, « pour respecter la nouvelle réglementation, les effectifs des équipes assurant la permanence médicale devront être au minimum de 6 à 7 médecins pour assumer une présence médicale et de 4 pour assurer une astreinte ». Dans ces conditions, c'est le problème même de l'existence de certaines unités de proximité d'accueil, de traitement et d'orientation des urgences (UPATOU), installées dans de nombreux hôpitaux, qui est posé. Même les établissements plus importants qui disposent de services d'accueil des urgences (SAU) seront, selon les auteurs du rapport, « amenés à mutualiser leurs moyens chirurgicaux, notamment la nuit ».
Les risques du statu quo
Autre facteur qui impose une réorganisation de la spécialité : le renforcement des exigences de sécurité, qu'elles concernent les blocs opératoires où la sécurité anesthésique. « Nombre d'hôpitaux ont aujourd'hui encore des difficultés à respecter toutes ces normes », notamment pour des raisons financières, constatent les auteurs. Cette situation, estiment-ils, « poussera à des restructurations ». Tout comme, d'ailleurs, l'apparition et le développement de nouvelles techniques, comme la chirurgie assistée par ordinateur et le développement de techniques substitutives à la chirurgie traditionnelle, qui réclament des équipements onéreux et des équipes bien formées. Et que tous les établissement ne pourront se payer.
Face à une telle situation, il faut réagir sans délai, affirme le rapport. Faute de quoi on s'exposerait, selon ce document, à trois risques.
D'abord, une répartition des tâches encore plus marquée entre le secteur public, auquel reviendraient les urgences et les interventions lourdes, et les cliniques qui ne feraient que les interventions programmables. Ce qui « serait facteur de régression globale de la chirurgie ».
Ensuite, l'impossibilité d'assurer les urgences pour de très nombreux établissements, « et pas seulement les très petits ».
Enfin, une restructuration sauvage des services de chirurgie qui se ferait de manière aléatoire « par disparition inappropriée de structures, mettant à mal l'accessibilité aux soins et l'aménagement du territoire ».
Bref, le groupe de travail estime indispensable une profonde réorganisation. Mais il estime qu'elle doit éviter deux écueils : « L'illusion que des moyens supplémentaires suffiront » et « la concentration massive de la chirurgie dans quelques sites ». Il faut, en effet, maintenir, « dès lors que cela est compatible avec sécurité et qualité, des structures de proximité ».
Equipes de 6 à 8 chirurgiens
Reste à savoir comment trouver ce subtil équilibre entre les exigences de l'aménagement du territoire et les nécessités de la sécurité et de la performance. Comment éviter la disparition de structures de proximité alors que tout semble indiquer que seules de grosses structures chirurgicales ont les moyens de fonctionner dans des conditions correctes ? Les auteurs du rapport ont quelques idées sur les moyens de surmonter cette apparente contradiction. Ils préconisent de constituer, « notamment dans les disciplines chirurgicales viscérales et orthopédie-traumatologie, des équipes de taille importante (6 à 8 chirurgiens au minimum)», qui seraient nommées sur un ensemble d'établissements correspondant à un bassin de population. Ces équipes pourraient aussi comprendre, pour assurer les urgences, des chirurgiens libéraux. Elles devraient élaborer un projet chirurgical par spécialité (chirurgie viscérale, orthopédique, urologique, etc.). Elles disposeraient d'un site référent (un CHU, par exemple) qui aurait un rôle formateur. Les auteurs du rapport reconnaissent cependant qu'exercer dans ce nouveau cadre est « contraignant et complexe » et suppose notamment le partage des dossiers médicaux et une prime pour cet exercice multiétablissement. Le gouvernement a d'ailleurs récemment instauré une telle prime pour des praticiens hospitaliers exerçant dans plusieurs hôpitaux. En outre, il va de soi que les équipements des petits hôpitaux de proximité que devront utiliser ces équipes volantes de chirurgiens devront être suffisants de façon à éviter des « déplacement coûteux et inutiles aux malades ».
Cela exige également que l'on définisse au préalable les limites des « bassins de population » ou « bassin de santé » qui seront établies de manière transparente en tenant compte des habitudes et des déplacements de la population. De tels bassins ne correspondront pas nécessairement aux actuels secteurs sanitaires ni aux autres découpages administratifs. Etablir la cartographie de ces nouvelles entités est un exercice délicat ; mais les auteurs du rapport soulignent que la méthode retenue par la région Rhône-Alpes pourrait faire école dans de nombreuses autres régions.
Réticences psychologiques
Enfin, et ce n'est pas la moindre difficulté de la réorganisation suggérée, il conviendra que le projet chirurgical d'un bassin de population établisse des protocoles précis. Les auteurs du rapport soulignent, à titre d'exemple, qu'un établissement disposant d'une UPATOU, mais qui n'aurait plus de manière permanente un chirurgien de garde à proximité immédiate, devra établir avec précision des protocoles d'intervention pour chaque cas et définir de manière claire « les permanences médicales indispensables à la sécurité, les missions autorisées, les recours possibles à distance (télémédecine, transports médicalisés, déplacements de spécialistes etc.) ».
Mais la plus grande difficulté d'une telle réforme n'est pas mentionnée dans le rapport : faire travailler ensemble des chirurgiens, constituant des équipes et intervenant dans plusieurs établissements, constitue un bouleversement des habitudes, une révolution culturelle, auquel certains ne sont peut-être pas prêts à consentir.
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