UN RAPPORT de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) estime que la loi Evin du 10 janvier 1991 sur la protection des non-fumeurs est «mal appliquée» et recommande une «interdiction absolue, sans fumoir», de la cigarette dans les lieux publics et de travail.
Le même texte, rédigé par Bernadette Roussille, ancienne responsable du Comité français d’éducation pour la santé, propose deux autres scénarios possibles. L’un est de «rénover» le décret d’application de la loi Evin en date du 29 mai 1992, déjà modifié le 14 octobre 2005 et relatif aux messages sanitaires et aux composants du tabac à faire figurer sur les emballages ; l’autre, de relancer la législation de 1991, en «mobilisant les forces du contrôle».
Une démarche de santé publique cohérente.
«Cohérente, avec l’objectif de santé publique poursuivi, et notamment celui de protéger tous les salariés» contre lapollution du tabac, l’interdiction absolue «présente l’intérêt d’être claire et sans ambiguïté, commente Bernadette Roussille. Les fumoirs, même fermés et dédiés, ne sont pas totalement fiables du point de vue de la protection» des abstinents . «Ils ne correspondent pas non plus aux besoins des fumeurs qui, souvent, ne les apprécient guère.»
Quelle que soit la stratégie choisie, aucune «démarche ne peut réussir si les administrations ne s’impliquent pas ensemble» pour «créer dans notre pays des environnements sans fumée. Seuleune mesure préparée et accompagnée, par une impulsion forte et convergente des administrations et des partenaires sociaux et associatifs, a des chances de ne pas rester lettre morte», estime Mme Roussille.
C’est l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, qui avait chargé l’Igas, en mai 2005, d’un rapport sur «les conditions de mises en place d’une interdiction complète de fumer dans les lieux collectifs et en particulier» dans les entreprises.
Le ministre pense aussi aux fumeurs.
«Le statu quo aujourd’hui n’est plus possible», déclarait le 5 mars dernier le ministre de la Santé, lors du Grand Jury RTL-« le Figaro »-LCI, en annonçant qu’il présenterait des propositions au chef du gouvernement «avant la fin du mois». Xavier Bertrand se dit soucieux de protéger les abstinents du tabagisme passif, qui fait de 3 000 à 5 000 morts par an en France, mais aussi «d’aider les fumeurs à s’arrêter» grâce à de «nouvelles incitations». Toutefois, il ne dit pas s’il adoptera une totale interdiction du tabac dans les lieux publics. Le ministre a reçu le rapport de l’Igas à la fin de janvier, et il a rencontré depuis cette date les associations antitabac, des députés et des sénateurs, ainsi que les représentants des buralistes, des restaurateurs et des syndicats de salariés.
L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) se prononce contre «une interdiction autoritaire». Elle lui préfère les espaces sans fumée de la loi actuelle. Elle apprécie sa mise en garde sur un sondage Ifop selon lequel 85 % des Français fréquentant les cafés-bars, restaurants et brasseries sont partisans de l’installation d’une cloison physique entre fumeurs et non-fumeurs ; et si la superficie de l’établissement ne le permet pas (moins de 100 m2), l’exploitant pourrait afficher le caractère «totalement fumeur» ou «totalement non-fumeur» de son commerce (68 %).
Dans ce contexte quelque peu fumeux, plusieurs parlementaires ont déposé en vain des propositions de loi visant à instaurer la prohibition dans tous les lieux accueillant du public. «L’exemple italien montre que c’est possible», affirme le député UMP Yves Bur, qui a présenté en octobre 2005 un texte en ce sens, suivi quatre mois plus tard par son collègue socialiste Armand Jung, également du Bas-Rhin. De son côté, Jean-Marie Le Guen (PS), cosignataire avec Claude Evin d’une autre proposition de loi «anti», demande au gouvernement de «surmonter le poids des lobbies», craignant qu’il ne se contente de «faux-semblants et faux-fuyants» jusqu’aux élections de 2007.
Aux Etats-Unis, le tabagisme s’essouffle.
Outre-Atlantique, des années d’intense mobilisation antitabac ont réussi à faire dégringoler les ventes de cigarettes. En 2005, elles ont baissé de 4,2 % par rapport à l’année précédente, portant à 21 % la chute depuis 1998, date à laquelle quarante-six Etats et les quatre plus grands cigarettiers américains ont signé un accord destiné à réduire la consommation dans le pays. En 1998, les compagnies concernées se sont engagées à verser 246 milliards de dollars pour rembourser les frais médicaux dus aux maladies provoquées par le tabagisme. Parallèlement, le prix des cigarettes a explosé et les interdictions de fumer se sont multipliées dans la plupart des lieux publics, qu’il s’agisse des bars, des restaurants, des bureaux, des transports en commun, des appartements locatifs, voire de certaines plages ou de quelques prisons. L’Association nationale des procureurs, qui parle d’ «un immense succès en matière de santé publique», constate que le niveau des ventes de cigarettes est désormais comparable à celui de 1951, alors que la population a plus que doublé entre-temps.
Et pourtant, chaque année, 400 000 Américains meurent de cancer ou de maladies cardio-vasculaires provoqués plus ou moins directement par le tabac. L’objectif national de santé publique, mis en avant par les Centres fédéraux de contrôle et de prévention des maladies (CDC), est de faire passer le nombre de fumeurs adultes de 21 % en 2005 à 12 % en 2010.
Un film à couper le souffle
Plus de trois ans d’enquête ont permis à la cinéaste Nadia Collot de réaliser un documentaire démontrant comment les cigarettiers parviennent, malgré tout et tous, à conserver, voire à accroître, leur puissance au détriment de la santé publique.
En 92 minutes, et sur trois continents, l’Amérique, l’Europe et l’Asie, « Tabac, la conspiration » fait des gros plans sur la manipulation scientifique, la subversion commerciale et la stratégie économique. Il a été prouvé, encore récemment, que les patrons de l’industrie du tabac se coalisent pour recruter des scientifiques et des professeurs d’université qui publient des articles mensongers sur la non-nocivité du tabagisme.
Que ce soit à travers le placement de produits et la « glamourisation »du tabac au cinéma, la création des cache-paquets destinés à masquer les messages imposés par la loi ou, d’une façon générale, les actions visant à retarder l’application de la législation ou à la contourner, les cigarettiers ont tout essayé. Pour se développer au mieux et au plus vite, infiltrer des pays aux marchés fermés, toucher les jeunes et les pauvres, ils vont jusqu’à mettre en place leur propre réseau de contrebande.
« Tabac, la conspiration » sera diffusé dans une trentaine de salles à partir du 5 avril. L’Union européenne, qui a lancé en mars 2005 la campagne quinquennale Help en vue de réduire la consommation de cigarettes chez les 15-30 ans, soutient le documentaire, distribué par Novociné et coproduit notamment par l’Office national du film du Canada.
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