DE NOTRE CORRESPONDANTE
«C’EST LA PREMIÈRE fois que des prions ont été détectés dans le sang d’animaux infectés mais cliniquement normaux, pendant la longue phase présymptomatique de la maladie», indique au « Quotidien » le Pr Claudio Soto (University of Texas Medical Branch, Galveston) qui a dirigé ce travail. «Lorsqu’une personne est infectée par les prions, ces agents infectieux se répliquent lentement dans l’organisme, sans produire de manifestations cliniques de la maladie jusqu’à ce que les quantités de prions dans le cerveau soient très élevées et détruisent les neurones et endommagent considérablement le cerveau. Chez les humains, cette période présymptomatique peut s’étaler sur plusieurs décennies, explique-t-il. Pendant tout ce temps, les individus sont des porteurs silencieux de prions infectieux. L’existence d’un test autorisant la détection des prions dans le sang en phase présymptomatique permettra de protéger de nombreuses personnes contre l’infection, poursuit-il. Ce test pourrait permettre d’évaluer le nombre potentiel de personnes non encore malades mais infectées par le variant de la MCJ. Enfin, la possibilité d’établir un diagnostic précoce permettra de bénéficier au maximum des traitements efficaces, lorsque les dégâts cérébraux irréversibles ne sont pas encore survenus.»
Méthode d’amplification cyclique du mauvais pliage.
Les prions, dont on suppose qu’ils sont les agents infectieux responsables des encéphalopathies spongiformes transmissibles (incluant la maladie de Creutzfeldt-Jakob et son variant chez les humains, l’ESB et la scrapie chez les animaux), sont composés d’une protéine prion mal pliée (PrPsc) ; celle-ci se réplique dans l’organisme et convertit la protéine prion normale (PrPc) en une forme mal pliée. Pour détecter de faibles quantités de prions dans un prélèvement sanguin, Claudio Soto et son équipe ont mis au point, ces dernières années, une méthode d’amplification cyclique du mauvais pliage protéique (protein misfolding cyclic amplification, ou PMCA en anglais). Cette méthode consiste à accélérer le processus par lequel les prions (en quantité infime non décelable dans le prélèvement) convertissent des protéines prions normales (apportées en grande quantité dans la préparation) en formes infectieuses mal pliées. Après plusieurs cycles, le prion anormal peut enfin être détecté par un test biochimique standard comme le Western Blot. L’année dernière, l’équipe montrait l’utilité de ce test pour détecter les prions dans le sang de hamsters qui avaient développé la maladie de la scrapie (« Nature Medicine », 2005) : pour la première fois, des prions étaient détectés par des moyens biochimiques dans le sang. Dans leur nouveau travail, Saa, Soto, et coll. ont cherché à savoir si le test PMCA permet de détecter les prions dans le sang durant la phase présymptomatique. Leur évaluation, comme dans la précédente étude, a été conduite chez des hamsters infectés de manière expérimentale par l’agent de la scrapie (inoculation intrapéritonéale de tissu cérébral infecté). Grâce au test PMCA, les prions ont pu être détectés dans le sang pendant une grande partie de la phase présymptomatique de la maladie (à partir de sept jours après l’inoculation, jusqu’à soixante-dix jours après – la phase symptomatique qui commence 114 jours après inoculation). Le pic de détection durant la phase présymptomatique survenait entre vingt et soixante jours après l’inoculation, avec une sensibilité de 50 à 60 % et une spécificité de 100 % (aucun faux positif).
En sachant que, chez ces animaux infectés par voie périphérique, aucune infectivité cérébrale n’est décelable durant la première moitié de la période d’incubation, le prion détecté dans le sang vient probablement d’une réplication périphérique du prion à partir de la rate et d’autres organes lymphoïdes, pensent les chercheurs. La baisse de détection du prion dans le sang, pendant la seconde partie de la période d’incubation, survient lorsque l’infectivité passe de la périphérie au cerveau. A la phase symptomatique, le prion était de nouveau détecté dans le sang de 80 % des animaux (sensibilité de 80 %). Ce prion vient probablement d’une fuite cérébrale, notent les chercheurs. «Cette méthode a permis, pour la première fois, de détecter les prions durant la phase silencieuse de l’infection, laquelle peut durer jusqu’à quarante ans chez les humains», déclare le Pr Soto.
Vers une détection dans le sang humain.
«Ces expériences apportant la “preuve du concept” ont été réalisées avec des prélèvements de rongeurs infectés de façon expérimentale. Le prochain objectif, sur lequel nous travaillons déjà depuis plusieurs mois, est de détecter les prions dans des échantillons sanguins de cas d’infection naturelle chez des humains et des bovins», explique au « Quotidien » le Pr Soto. «Une fois que nous serons capables de détecter, de façon reproductible, les prions dans ces prélèvements, nous commencerons une étude en aveugle sur un grand nombre de prélèvements afin d’évaluer la sensibilité et la spécificité du test. Cette étude nous permettra aussi d’évaluer le nombre potentiel de personnes qui font une incubation silencieuse du variant de la MCJ.»
«Pour un test commercial, nous devons obtenir des résultats reproductibles, une spécificité élevée (aucun faux positif) et satisfaire les agences de régulation. Nous sommes déjà en pourparlers avec les autorités en Europe, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis pour réaliser ces études. Afin d’accélérer le développement d’un test sanguin, mon université a récemment créé une compagnie start-up nommée Amprion.»
«Comme la conversion des protéines normales en versions mal pliées représente un processus commun à plusieurs maladies neurodégénératives, dont la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson, nous sommes en train de mettre au point un test similaire pour diagnostiquer les patients aux stades très précoces de ces maladies, avant l’apparition des symptômes cliniques. Ce sera une avancée majeure, avec de nombreuses implications», conclut le Pr Soto.
« Science » 7 juillet 2006, Saa et coll., p. 92
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature