DIX POSTES d’anesthésistes vacants sur un total de trente, cela fait beaucoup. Impossible de faire tourner la maternité d’Orléans avec un tel sous-effectif. Et la situation ne va pas s’arranger : quatre départs à la retraite se profilent.
Cette pénurie, conjuguée à l’obligation de maintenir une continuité des soins, a conduit le directeur général du CHR à embaucher des mercenaires depuis quelques mois. Bien malgré lui : «Je n’ai pas le sentiment d’appliquer la règle», reconnaît-il.
Et pour cause. En payant au prix fort des anesthésistes, entre 600 et 700 euros la journée, Jean-Pierre Gusching a pris un risque, qui le place aujourd’hui en délicate posture. L’un de ces mercenaires l’a assigné en justice. Il exige son dû, que refuse de verser le trésorier payeur de l’établissement, au motif que le contrat signé entre le directeur général et le médecin dépasse les limites financières fixées par la loi.
Sentiment d’injustice.
L’affaire, qui concerne un remplacement effectué en août 2003, a été jugée une première fois en 2004. Au détriment du médecin : sa demande de versement d’une provision a été rejetée par le tribunal administratif d’Orléans. Mais l’anesthésiste envisagerait de déposer une requête au fond. Le procès, s’il a lieu, ne se tiendra pas avant plusieurs années. «J’attends de savoir si le juge considère que c’est au directeur de payer les mercenaires sur ses fonds propres, déclare Jean-Pierre Gusching, en endossant sa casquette de secrétaire général de l’union hospitalière du Centre. Son avis aura un impact important sur l’évolution des pratiques.»
D’ici là, la situation ne va guère changer à Orléans : les mercenaires continuent de faire tourner la boutique. De jeunes médecins bien souvent, qui enchaînent les remplacements éclairs aux quatre coins de France via des boîtes d’intérim. Parfois aussi, il s’agit de PH en poste ailleurs qui viennent au CHR arrondir leurs fins de mois. La cohésion médicale en prend un sacré coup. «Ça crée des tensions et un énorme sentiment d’injustice chez les PH, raconte le Dr Didier Réa, anesthésiste à Orléans, par ailleurs président du Syndicat national des PH anesthésistes- réanimateurs (Snphar). La disproportion entre le paiement des PH et des mercenaires, qui n’ont pas pris un engagement de service public, n’a pas de sens.»
La région Centre est l’une des plus sinistrées de France au plan de la démographie médicale. Mais pourquoi le CHR d’Orléans peine-t-il à remplir son quota d’anesthésistes ? Le plateau technique est high-tech, les postes vacants ont été classés prioritaires, et Paris n’est qu’à une heure. Trop de gardes, trop de pression, avance Jean-Pierre Gusching. «Le phénomène prend de l’ampleur, c’est en train de devenir un problème de fond, déplore le directeur général. On en vient à se demander s’il ne va pas falloir fermer certaines activités chirurgicales ou certains blocs, pour maintenir la maternité.»
Localement, nul n’ignore la multiplication des recours au mercenariat. La CME a été prévenue, de même que le conseil d’administration, qui, pour la bonne cause, accepte de fermer les yeux. «Nous avons donné pouvoir au directeur pour recruter par les voies qui lui semblent nécessaires», affirme même le président du CA, Serge Grouard. Le député-maire (UMP) d’Orléans ne conçoit pas sa ville sans une maternité : «La fermer serait absurde: les femmes devraient accoucher dans la rue ou à Paris.» Pour l’élu, l’intérêt des habitants l’emporte sur le reste. Quitte à mettre en péril la logique de retour à l’équilibre dans laquelle s’est pourtant engagé l’hôpital. «Le mercenariat nous coûte très cher, admet Serge Grouard. Payer un médecin entre 10000 et 15000euros par mois va générer du déficit.»
Le mercenariat dépanne, mais c’est un système «pervers», auquel l’élu tente de mettre fin. Sa demande d’un aménagement réglementaire n’a pas abouti (voir encadré), mais Serge Grouard ne baisse pas les bras. «Pourquoi ne pas faire comme à l’ENA, et demander aux jeunes médecins le remboursement de leurs études s’ils partent dans le privé?», s’interroge Serge Grouard, qui prône un retour aux valeurs du service public dans le pays.
Le député-maire s’est également tourné vers l’ARH du Centre pour réclamer des crédits afin de payer les mercenaires. Une demande qui plonge le directeur de l’ARH dans l’embarras. Car s’il considère qu’il faut «à tout prix» éviter la fermeture de la réanimation chirurgicale à Orléans – «ce serait une catastrophe pour l’offre de soins et pour les finances du CHR» –, Patrice Legrand n’en reste pas moins un représentant de l’Etat en région, opposé à l’instauration d’un «marché libre des tarifs médicaux à l’hôpital public». Le directeur d’ARH compte sur le relèvement du numerus clausus et sur les mutualisations entre hôpitaux pour régler la situation. Mais si le mercenariat médical devait être institutionnalisé à Orléans et dans les autres hôpitaux du Centre, «on aura à se prononcer», met en garde Patrice Legrand.
Le ministre botte en touche
Le député-maire UMP du Loiret, Serge Grouard, a demandé à Xavier Bertrand d’assouplir la réglementation, pour autoriser temporairement, et en cas d’urgence, les recrutements médicaux à l’hôpital sur la base de tarifs librement consentis. Réponse négative du ministre de la Santé : «Il n’est pas envisagé de modifier les règles» du recrutement et des conditions de rémunération s’appliquant à l’hôpital. Mais les conditions de reprise d’ancienneté pour les nouveaux PH ont été élargies «de façon notamment à prendre en compte l’exercice libéral», rappelle Xavier Bertrand, qui espère ainsi «favoriser le recrutement médical» dans les hôpitaux publics.
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