APRES UNE arthroplastie totale de genou, la mobilité obtenue est presque toujours inférieure (de 100 à 125 degrés) à celle d’un genou normal naturel (150 degrés). La Société américaine du genou (American Knee Society ou AKS) attribue des points de score à cette donnée fonctionnelle, soit un point par cinq degrés de mobilité passive. Ainsi avec une flexion de 125, maximum envisageable, le score maximal réalisable (au titre de la mobilité) est de 25/100 contribuant à l’établissement du score global. Sur cette base, des points sont retirés dès l’existence d’un flessum persistant de plus de cinq degrés. La plupart du temps, il est exceptionnel pour un opéré d’atteindre le score maximal de 25 au seul titre de la mobilité. Il n’est d’ailleurs pas souhaitable, pour des raisons d’usure accrue dans les secteurs extrêmes de flexion, que le degré de flexion dépasse cette « barre » de cent vingt-cinq degrés.
De plus, les activités de la vie courante se contentent d’une flexion bien plus modeste : la marche en terrain plat ne requiert qu’en moyenne 65°, la montée ou descente d’un escalier à peine quelques degrés de plus que l’angle droit…
L’insuffisance de flexion n’a pas l’exclusivité du chapitre consacré aux raideurs ; le défaut d’extension, dès qu’il dépasse 15 degrés, rend la marche difficile.
C’est pour cet ensemble de considérations qu’il n’existe pas une définition strictement consensuelle de la raideur : certains auteurs extrêmement sévères retiennent comme raideur toutes les situations où l’on ne dépasse pas les 90° ; d’autres sont beaucoup plus indulgents et retiennent la notion de raideur lorsque le secteur de mobilité est inférieur à 50° après la période habituelle de récupération de mobilité.
Il pourrait être préférable de ne retenir comme raideur que les situations pour lesquelles l’opéré indique ne pas disposer de la mobilité nécessaire pour accomplir les activités qu’il souhaite, toutes les raideurs n’étant pas nécessairement invalidantes. L’appréciation du patient peut cependant être biaisée par sa réticence à une nouvelle intervention.
Une composante algique.
Une vaste majorité d’opérés chez qui l’on constate une raideur se plaignent également de douleurs. Probablement dues aux tentatives constantes par l’opéré de solliciter son genou au-delà des limites imposées par la raideur. Raideur et douleur se combinent pour amoindrir le score fonctionnel du genou. A cet égard, les interventions mobilisatrices visant à améliorer le secteur de mobilité parviennent le plus souvent à juguler la composante algique. Un contexte étiologique très polymorphe
Rechercher les facteurs favorisants.
La recherche de facteurs favorisant la survenue d’une raideur est indispensable. Ces facteurs ne peuvent jouer un rôle important (défaut de mobilité préopératoire) ou plus secondaire : motivation de l’opéré, faible tolérance à la douleur, traitement antalgique insuffisant, erreurs techniques, type particulier de prothèse, algodystrophie, etc.
Il faut tout d’abord procéder à un diagnostic d’élimination, surtout dans les premières semaines postopératoires : une infection doit être recherchée, éventuellement par ponction ; une algodystrophie doit être évoquée et conduire à une évaluation scintigraphique.
Le morphotype peut aussi contribuer à la raideur (patients de petite taille et trapus) ou certaines comorbidités (diabète, coxopathie sus-jacente).
Les genoux opérés ou multi-opérés précédemment à l’arthroplastie récupèrent également une moins bonne mobilité. Il en est de même des genoux porteurs d’une arthropathie inflammatoire ankylosante.
Le type de la prothèse a aussi une influence tout comme certaines techniques en cours d’implantation qui peuvent être une source non négligeable de raideurs : défauts de positionnement des pièces prothétiques, défaut de sélection de la taille de ces implants, insuffisance de libération des parties molles, défauts d’équilibrage de ces parties molles entre l’espace articulaire ménagé pour l’encombrement prothétique en flexion et celui en extension… Une analyse radiographique poussée s’impose s’appuyant sur la radiographie conventionnelle, mais aussi sur le scanner et les radiographies dynamiques (varus et valgus forcés). L’ensemble, comparé aux données préopératoires, permet, dans certains cas, de cibler une erreur technique manifeste. L’établissement d’une relation de causalité entre la ou les erreurs techniques retrouvées et la raideur elle-même est parfois rendu malaisé par la combinaison de multiples défauts techniques.
En cas de non-conformité spécifique de pose, une reprise peut être envisagée après suppression de la prothèse considérée comme défectueuse. A l’inverse, la non-identification d’une anomalie technique oriente vers une intervention mobilisatrice conservant la prothèse (arthrolyse).
Les incidents de parcours.
Enfin, certains incidents peuvent avoir entravé les progrès de mobilité : pathologie intercurrente postopératoire à distance du genou, retard de cicatrisation, en particulier cutané, prolongation indue (de nécessité ou non) de l’immobilisation postopératoire initiale, et aussi phlébite suivie d’une anticoagulothérapie et d’une hémarthrose, accident vasculaire cérébral, accident cardiaque imposant un repos au lit…
Des difficultés individuelles de rééducation, le plus souvent dues à la douleur, devraient être évitées par le glaçage, les anti-inflammatoires et les morphiniques, en sachant que l’utilisation postopératoire des attelles mécanisées au lit n’est pas une garantie de prévention de tels incidents de parcours.
Une fibrose (sans doute cicatricielle, mais probablement favorisée par une prédisposition individuelle) est susceptible de se développer dans le cul-de-sac quadricipital, dans les gouttières latérales, le long des rampes condyliennes, ou encore par rétraction des coques condyliennes.
L’ossification postopératoire relève également de facteurs multiples et d’une probable susceptibilité individuelle.
Un arsenal thérapeutique étendu.
Plusieurs options thérapeutiques, non exclusives les unes des autres, sont envisageables pour améliorer la mobilité insuffisante. Ces options réclament toutes d’être accompagnées d’un programme « postinterventionnel » rééducatif insistant et soutenu.
Il existe quatre possibilités : la mobilisation sous anesthésie, l’arthrolyse arthroscopique, l’arthrolyse chirurgicale, le changement ou reprise de prothèse.
L’indication de chaque intervention dépend de la situation individuelle de chaque patient : délai depuis l’intervention, terrain sain ou pathologique de l’opéré, importance de la perte de mobilité.
L’arsenal thérapeutique est utilisé de façon graduée : les interventions les plus lourdes, comme les reprises prothétiques, sont en général réservées aux raideurs les plus sévères et/ou aux erreurs caractérisées d’implantation prothétique initiale.
La mobilisation sous anesthésie exige une analgésie et une relaxation musculaire complètes. Il est souhaitable que ce soit l’opérateur ayant réalisé l’implantation qui fasse lui-même cette mobilisation car il est mieux à même de connaître les limites de mobilité qui prévalaient au terme de l’intervention initiale et qui ne peuvent en aucun cas être dépassées. Des contrôles radiographiques durant cette mobilisation sont utiles. Ces mobilisations se font en général dans le courant du deuxième mois postopératoire. En principe, il est recommandé de mobiliser les patients qui n’atteignent pas l’angle droit au terme de quatre à six semaines de rééducation postopératoire.
L’arthrolyse arthroscopique consiste, après distension liquidienne préalable et prélèvements bactériologiques et synoviaux, à libérer le cul-de-sac sous-quadricipital et les rampes condyliennes, à sectionner les ailerons rotuliens et à amoindrir au shaver toutes les proliférations tissulaires excessives intra-articulaires pour augmenter la capacité articulaire et favoriser le gain de mobilité qui doit être constaté en cours d’arthroscopie. Elle a le mérite d’être moins invasive que l’arthrolyse chirurgicale avec des résultats presque aussi encourageants ; elle se fait en général durant le deuxième trimestre postopératoire.
L’arthrolyse chirurgicale a été l’une des premières techniques utilisées. Elle présuppose l’absence d’anomalie sur la prothèse elle-même (ni erreur de positionnement ni erreur de sélection des pièces...). Il s’agit d’une chirurgie délicate. L’objectif est de rétablir autour de la prothèse des plans de glissement de bonne qualité et de débarrasser l’espace arthroplastique de toutes sortes d’adhérences ou de proliférations tissulaires.
Une excision synoviale et fibreuse généreuse doit aussi avoir lieu, si possible en accédant progressivement à tous les recoins de l’espace arthroplastique.
Chaque fois qu’existe un plateau tibial modulaire (la majorité des cas), il doit être ôté de première intention. Ce travail combiné de libération, résection tissulaire, exposition graduelle des pièces prothétiques, permet la réévaluation de visu de la prothèse en place et de l’espace de mobilité dont elle dispose (équilibre ligamentaire de cet espace, équivalence des espaces respectifs en extension ou en flexion).
La rotule fait également l’objet d’une résection d’éventuels tissus exubérants susceptibles de l’entourer.
Un plateau tibial d’essai est remis en place et la mobilité à nouveau réévaluée (en flexion, par sollicitation simple de la pesanteur, sans poussée manuelle additionnelle sur le tibia et également en extension).
Il importe, pour l’équipe chirurgicale, de garder à l’esprit qu’en cas de nécessité cette intervention est susceptible de devoir être convertie en une chirurgie plus lourde de changement prothétique, si l’efficacité peropératoire de la libération se révèle insuffisante.
La plupart de ces interventions d’arthrolyse chirurgicale ont lieu un peu plus d’un an après l’intervention première. L’efficacité de telles arthrolyses est inconstante, mais améliore la situation de mobilité environ deux fois sur trois.
Le changement de prothèse présente les mêmes risques de voie d’abord que l’arthrolyse chirurgicale. Le premier temps de l’intervention consiste en l’ablation des pièces prothétiques en épargnant au maximum le capital osseux. Une arthrolyse a lieu au terme de cette ablation de la prothèse, puis se déroule le temps de réimplantation qui doit nécessairement corriger les erreurs commises lors de la première pose de prothèse.
Il faut s’efforcer d’obtenir des espaces articulaires en flexion et extension de dimensions les plus proches, ce qui n’est pas toujours aisé ; l’assise du plateau tibial constitue de toute façon la limite distale de chacun de ces espaces et est utilisée comme ligne de référence de la reconstruction. La limite proximale de l’espace en extension est le niveau le plus distal du fémur qui présente parfois des distorsions liées à des pertes osseuses et que l’on peut plus ou moins ajuster en niveau et en direction, au moyen de cales compensatoires ; la limite antérieure de l’espace en flexion est la ligne condylienne postérieure sur laquelle on peut discrètement jouer en fonction du choix de taille de la pièce fémorale.
Ces interventions de reprise prothétique relativement lourdes surviennent le plus souvent au-delà d’un délai de deux ans après la prothèse initiale. Elles se révèlent efficaces environ une fois sur deux.
D’après une conférence d’enseignement du Pr Denis Huten (Paris).
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