SUR LA GRIPPE AVIAIRE, la séquence la plus récente mérite d'être examinée soigneusement : deux chercheurs éminents, les Prs Jean-Philippe Derenne et François Bricaire, publient un ouvrage qui insiste sans ménagements sur le danger de pandémie (« le Quotidien » du 3 octobre). Ce qu'ils disent est infiniment utile pour les professionnels de santé et pour les responsables de la santé publique, pas forcément pour le grand public.
Entretemps, le gouvernement, obnubilé par la crainte de commettre une erreur comparable à celle de la canicule de 2003, annonce le branle-bas. Les médias se jettent sur l'affaire, les Français sont alors exposés à un déluge d'informations, toutes alarmistes. L'angoisse monte : le Tamiflu n'est pas disponible en pharmacie (on se demande d'ailleurs pourquoi il faut à tout prix inquiéter la population tant que le traitement est introuvable). Du coup, Dominique de Villepin nous informe qu'il ne faut pas céder à la panique.
LA POLITIQUE ET LA SANTE NE FONT PAS BON MENAGE
Préoccupation politique.
On est en droit de lui répondre que le gouvernement a déjà donné l'impression d'y avoir cédé. Il veut absolument nous convaincre qu'il a pris toutes ses dispositions au moment où le virus H5N1 rôde en Roumanie. Il préfère cent fois nous préparer à une pandémie que de sembler pris au dépourvu quand elle se déclarera. En attendant, on peut toujours se faire du souci, peser les risques, apprendre qu'un poulet bien cuit est inoffensif, que la maladie se transmet peut-être des volatiles à l'homme, mais pas de l'homme à l'homme, toutes supputations qui encombrent l'esprit du public, mais risquent d'être démenties. Car il s'agit d'un virus que l'on connaît mal ; on ne sait pas vraiment pourquoi un virus passe ou ne passe pas la barrière de l'espèce.
Rien de pire, par conséquent, que l'irruption de la politique dans le domaine délicat de la santé publique. Ce n'est pas vraiment la faute de nos gouvernants, qui savent qu'ils seront les premiers interpellés par l'opinion si par malheur un citoyen meurt après avoir tordu le cou à un poulet. Après tout, on a eu tôt fait de mettre les 15 000 morts de 2003 au passif du gouvernement ; et le souvenir de cette bérézina, qui coûta son emploi au ministre de la Santé de l'époque, reste cuisant. Pour Xavier Bertrand, le défi est d'être prêt avant le drame ; pis encore, avant que la menace se soit exprimée.
Comme toutes les alertes, celle-ci présente un inconvénient majeur :
- si elle est confirmée dans les faits, il n'est pas certain que, en dépit de leur vigilance, le gouvernement et les agences de santé publique aient des moyens assez puissants pour contrôler la pandémie, c'est-à-dire d'en limiter les effets à un nombre négligeable de victimes ;
- si elle n'est pas confirmée, le public aura tendance à penser rétrospectivement que l'on a fait beaucoup de bruit pour rien, sans doute dépensé de l'argent pour rien, terrorisé les gens pour rien. Bien sûr, il aura tort, car il vaut mieux prévenir que guérir. Mais là n'est pas la question. Le danger vient de ce que, apaisés par l'éloignement de la menace, les Français risquent de ne pas prendre la suivante au sérieux.
La surinformation fait partie des maux nécessaires de notre société. On ne peut plus échapper aux innombrables signaux que les médias nous envoient tous les jours. Et d'ailleurs, nous en redemandons. Elle s'exerce toutefois dans un contexte où le savoir est bien moins vaste que l'on ne croit. On informe énormément sur ce dont on n'est pas sûr. Non seulement les sujets scientifiques tombent vite dans le circuit de l'ignorance où ils sont déformés à souhait ; mais tout domaine qui relève de la recherche et de la découverte est, par définition, région inconnue.
Un dilemme vital.
On peut même dire qu'il y a des domaines de la santé publique qui ont donné lieu à des travaux exhaustifs, mais ne permettent pas encore d'exprimer des certitudes. Il en va ainsi du traitement substitutif hormonal de la ménopause qui, après avoir été consacré par tous, est contesté aujourd'hui par beaucoup (et pas des moindres) et permet la publication successive d'une étude affirmant la nocivité du TSH et d'une étude disant exactement le contraire. Et ainsi de suite. Au nom de la prudence de la science, des centaines de millions de femmes sont placées devant un dilemme vital. Elles se trouvent dans la situation d'un conducteur obligé de réagir à un feu vert et à un feu rouge qui alterneraient toutes les secondes. Reconnaissons que le résultat de ces travaux contradictoires et dont les contradictions sont incessamment répétées représente un danger objectif pour toutes les femmes concernées. Et que, pour déclencher une peur de masse, on n'a pas toujours besoin d'une épidémie.
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