THEATRE
PAR ARMELLE HELIOT
Bien sûr un artiste a le droit de se tromper, un artiste a le droit de rater complètement un spectacle. Mais un artiste a-t-il le droit, lorsqu'il dispose des moyens importants que propose le premier théâtre de France et lorsqu'il peut s'appuyer sur des comédiens remarquables et intelligents, de s'en tenir à ce brouillon ? Si Anatoli Vassiliev ne se croit pas supérieur à Molière, il pense que jamais avant lui personne n'avait compris « Amphitryon ». On lui rappellera simplement que, sur ce plateau même, Philippe Adrien donna il y a quelques années une mise en scène très intéressante ; on lui rappellera que Klaus Michaël Grüber signa un spectacle inoubliable tout comme - et c'est sans doute la proposition la plus fine et la plus profonde - Jacques Lassalle avec de jeunes acteurs remarquablement dirigés dans une scénographie aérienne et spirituelle.
Mais Anatoli Vassiliev croit naïvement qu'il est plus clairvoyant. Lui, il a lu Molière. Et il a tout vu au-delà de ce que même Molière avait cru écrire. Pourquoi pas ? Mais encore faut-il savoir traduire scéniquement ses pensées, sa dramaturgie. Or, rarement, il faut le dire, on aura vu si laid, si désordonné, si peu harmonieux, si maladroit, si ridicule en matière de représentation. C'est un fatras, esthétiquement et intellectuellement. Rien d'autre.
Tout et n'importe quoi est ici convoqué : le japon pour les costumes, un Orient plus large pour les arts martiaux, Rome pour le décor qui ressemble à une pièce montée, côté musique il y a de tout, des steppes à la Bretagne, côté oriflammes on est servi, ils se déclinent en soie ou en plastique, c'est selon et c'est très bêta. Pour les signes, c'était sa grande idée, on bascule à la fin du côté des cloches, des croix chrétiennes, des ciboires, mais les croix sont accouplées à des « Z » comme Zeus qui ressemblent furieusement au Z de Zorro.
Quand à la manière dont Anatoli Vassiliev, avec l'appui de Valérie Dréville, qui a organisé le « training vocal » de ses camarades, règle l'énonciation, elle est aberrante et signale une méconnaissance et un mépris profond de la prosodie française. Faut-il le dire : les comédiens sont ridicules et ne parviennent pas à jouer, enfermés qu'ils sont dans un exercice formel vain. Rien ne fait sens ici et l'on met au défi qui ne connaîtrait pas cette pièce enjouée et grave d'y rien comprendre.
Bref, on plaint sincèrement les interprètes si doués et interdits de donner le moindre sentiment de leur talent et de leur intelligence. On les salue pour leur abnégation. Mais faut-il demander au public de subir une telle punition ?
Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu'en juillet. Durée : 3 h 30 entracte compris (01.44.58.15.15.). Programme avec éléments d'éclairage (4 euros). L'Avant-Scène Théâtre publie un numéro spécial contenant le texte de la pièce et un cahier documentaire sur cette production. N° 1 106. (10 euros).
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