LES COMPORTEMENTS déviants n’ont pas progressé, mais lorsqu’ils sont mieux traqués par la Sécu, ils passent moins inaperçus. Ainsi, les investigations ciblées des caisses d’assurance-maladie, qui disposent d’un arsenal de sanctions financières graduées depuis la loi Douste-Blazy de 2004, ont déjà permis de détecter cette année presque six fois plus de fraudes et d’abus qu’en 2005 (18 500 contre 3 241 l’an dernier). En fait, la « chasse » de l’assurance-maladie dans ce domaine se révèle particulièrement fructueuse en valeur, à la hauteur de l’objectif qu’elle s’était fixé en 2006 (environ 100 millions d’euros). La Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) estime à 119 millions d’euros le montant total des fraudes, erreurs ou abus détectés, qu’ils aient été repérés en amont (avant paiement) ou a posteriori. L’enjeu financier des remboursements évités ou en voie de récupération a été «multiplié par 15 en un an», se félicite la Cnam. Toutefois, le bilan provisoire des économies réalisées en 2006 s’élève à 87 millions d’euros seulement, en raison des procédures en cours.
«Trois programmes lancés fin 2005 ont dépassé leurs objectifs», souligne le directeur général de la Cnam. Ils concernent le respect de l’ordonnancier bizone pour les ALD (affections de longue durée), les contrôles en matière de T2A (tarification à l’activité) et les assurés «mégaconsommants» (voir tableau). A propos des règles de prises en charge des ALD, les caisses ont contrôlé cette année 1 194 médecins soupçonnés de rédiger des prescriptions erronées pour un préjudice «supérieur à 1300euros par mois». Après un millier de lettres de mises en garde, 24 praticiens ont déjà dû s’acquitter de «pénalités financières pouvant aller jusqu’à 5000euros».
Concernant les facturations en T2A, la Cnam avait, en début d’année, «plus de 400établissements de santé» dans le collimateur (sur un total de 1 418), dont 196 hôpitaux et 215 cliniques. Dans un premier temps, la Cnam avait évalué à «50millions d’euros» le préjudice des caisses, au vu des anomalies constatées (« le Quotidien » du 21 juin). Tout compte fait, les 300 contrôles effectués sur site ont révisé à la baisse cette première estimation : les écarts de facturation ne représentent « que » 35 millions d’euros en 2006. La récupération des sommes indues a rapporté 24 millions d’euros en 2006 et «va se poursuivre en 2007 car chaque procédure dure six mois», a indiqué le Dr Pierre Fender, responsable à la Cnam de la direction du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes. Les dérives portent sur des facturations de séjours en hospitalisation à temps partiel pour des actes relevant de consultations externes, sur des suppléments journaliers de réanimation ou des séjours de soins palliatifs (hors autorisation de l’agence régionale de l’hospitalisation).
Plein feu sur les mégaconsommants.
Du côté des assurés, les caisses ont passé au crible les remboursements des «mégaconsommants», pas forcément fautifs. La Cnam note que leur nombre statistique a déjà été réduit de 4 175 à 2 457 (– 41 %) de 2005 à 2006, tandis que les montants de dépenses associés ont diminué de 3 à 1,8 million d’euros (– 40 %). Les caisses ont engagé 49 procédures pénales (pour falsification ou vol d’ordonnances), ont suspendu la prise en charge de 452 traitements, mais aussi commencé «un suivi médical plus encadré» pour 1 900 personnes. Les contrôles ont aussi permis de réduire d’un quart le nombre de consommateurs suspects de traitements de substitution aux opiacés (Subutex). «Près de 2000personnes ont changé de comportement», affirme la caisse, tandis que certains professionnels de santé ont été poursuivis (31 actions auprès de l’Ordre des médecins, 4 saisines de l’Ordre des pharmaciens).
Quant aux arrêts de travail, la Cnam relève une baisse de 75 % du volume d’indemnités journalières chez la quarantaine de médecins dont les prescriptions ont été mises sous accord préalable (pendant deux à six mois). Le Dr Fender cite le cas extrême d’un « recordman » des arrêts maladie ( «51000IJ par an, soit 140années d’arrêts de travail»).
Enfin, les médecins-conseils ont contrôlé 209 laboratoires d’analyses pour anomalies de facturation (calcul de la clairance de la créatinine), ce qui a abouti déjà à 165 transactions ou notifications d’indus.
En 2007, le programme de lutte contre les abus et fraudes se poursuivra et sera amplifié, pour atteindre l’objectif de «120millions d’euros» d’économies. La Cnam vise surtout les contrôles de la T2A (48 millions d’euros attendus), devant les arrêts maladie et diverses actions locales (20 millions d’euros pour chacun de ces postes), le respect de l’ordonnancier bizone en ville et à l’hôpital (12 millions), la chirurgie esthétique (10 millions), les pharmacies d’officine et autres professionnels de santé (8 millions) et enfin les mégaconsommants et toxicomanes (2 millions).
Somme toute, avec une centaine de millions d’euros à la clé, le bilan annuel de la détection des fraudes et abus n’est pas mirifique. En réalité, la Cnam brandit sa politique de contrôles un peu comme un étendard derrière lequel professionnels de santé, assurés et employeurs sont incités à marcher droit et de manière plus économe. Le directeur de la Cnam, d’ailleurs, ne s’en cache pas. «Il y a une certaine fongibilité» entre les résultats des contrôles et ceux de la maîtrise médicalisée des dépenses (7 à 8 fois plus importants), reconnaît Frédéric Van Roekeghem, les premiers ayant «un effet préventif difficile à estimer».
Bilan 2006 de la lutte contre les fraudes et les abus (en millions deuros) | |||
THÈMES | OBJECTIFS 2006 | MONTANT DES FRAUDES, FAUTES, ABUS DÉTECTÉS EN 2006 | MONTANT DES ÉCONOMIES RÉALISÉES EN 2006 |
Mise sous accord préalable des prescripteurs excessifs d'indemniéts journalières | 30 | 22 | 22 |
Contrôle des prescripteurs excessifs en matières d'utilisation de l'ordonnancier bizone (ville et hôpital) | 17 | 20 | 18 |
Contrôle de la tarification à l'activité des établissements (T2A) | 15 | 35 | 24 |
Contrôle de la chirurgie esthétique | 10 | 10 | 1,7 |
- Mégaconsommants et - traitements substitutifs aux opiacés |
2,4 | 7,1 | 2,3 |
Actions loco-régionales | 15 | 23 | 15 |
Autres programmes : - Facturation frauduleuse d'un acte de biologie médical (calcul de la clairance de la créatine) - pratiques frauduleues des pharmacies d'officine - fraudes en bandes organises |
12 | 2,5 | 4,2 (dont 1,7 de rcupration dindus sur des annes antrieures) |
TOTAL | 101,4 | 119,5 | 87,2 |
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