AU MOYEN ÂGE, à Montpellier, les candidats devaient rédiger en trois jours quatre petites thèses dont les sujets leur étaient communiqués l'avant-veille. Elles faisaient partie d'un ensemble d'épreuves finales appelé « acte de triomphe », qui se terminait par des fêtes fastueuses avec banquet et concert. A Paris, les étudiants rédigeaient, en latin, une thèse dite « quodlibétaire », sur des sujets variés, parfois très éloignés de la médecine, et une thèse « cardinale », sur des questions hygiéniques. Les soutenances étaient l'occasion de grandes cérémonies. Au XVIIe, certaines thèses étaient de vrais petits traités d'érotisme, ou se contentaient de comparer les vertus des différents vins pour la santé.
La réforme de 1803 définit avec plus de précision le contenu de la thèse, soutenue devant un jury chargé d'interroger l'impétrant sur son contenu et ses connaissances. En outre, le jury lui pose douze « questions de thèse » portant sur différents points du programme des études, épreuve supprimée en 1884. A cette époque, 80 % des thèses françaises sont soutenues à Paris, à raison de quatre cents à cinq cents par an. Après 1900, la proportion diminue au fur et à mesure que de nouvelles facultés de médecine voient le jour dans le pays.
Vêtus d'une robe doctorale noire, les impétrants faisaient face à un jury en toge rouge bordée de soie ou d'hermine, au cours d'une cérémonie solennelle d'une heure et demie. L'impression des thèses et les frais de soutenance représentaient une dépense importante pour les candidats, qui avaient parfois du mal à tout payer. Mais au-delà de cet aspect matériel, la valeur même de la thèse en tant que forme d'examen fait l'objet de fréquents débats. Sauf exception rarissime, les thèses sont toujours acceptées par les jurys, avec des mentions plus ou moins laudatives. Globalement, les professeurs parisiens du XIXe estiment qu'un tiers des thèses sont un réel travail de recherche et une contribution intéressante à une question, qu'un tiers présente un intérêt moyen ou limité, et que le tiers restant n'a pas la moindre qualité, et répond uniquement à l'obligation, pour le candidat, d'en présenter une.
Thèses refusées.
Entre 1850 et 1900, une quinzaine de thèses furent refusées par la faculté de médecine de Paris. Un jeune médecin, dont la thèse sur le libre arbitre avait été rejetée en 1867 à la suite de pressions de l'évêque d'Orléans, un homme déjà très âgé, se vengea en rédigeant une nouvelle thèse sur « Le ramollissement sénile du cerveau ».
Des thèses portant sur les prostituées et sur la sodomie furent recalées pour des raisons de bienséance et d'autres le furent pour ne pas « vexer » le tsar de Russie ou parce qu'elles dénonçaient la situation catastrophique de l'hygiène dans certaines villes ou industries. En 1895, un certain Dr Mazier présenta une thèse intitulée « De la dégénérescence de l'espèce humaine, ses causes principales ». Il y soutenait que la plupart des malades chroniques, y compris les syphilitiques, les alcooliques et les cancéreux, n'étaient pas curables, et étaient donc des «dégénérés» qu'il serait plus utile de castrer, voire de supprimer brutalement d'un seul coup. La faculté annula cette thèse, mais un journal de l'époque, « la Chronique médicale », lança à cette occasion une enquête auprès des médecins et des professeurs pour savoir s'il fallait maintenir ou non cette forme d'examen. Pour le Dr Cabanès, rédacteur en chef de cette revue, les thèses sont, en général, «pauvres d'invention, peu riches de style, dénuées de sens pratique quand ce n'est pas de bon sens» et constituent des «essais informes qui attestent l'inexpérience autant que la témérité inconsciente de la jeunesse». Toutefois, l'enquête de la « Chronique » révéla qu'un professeur sur deux, à Paris, à Lyon et à Montpellier, restait attaché à la thèse, à condition qu'elle soit bien faite, et insistait sur son intérêt pédagogique, initiation à l'écriture d'un rapport et à la recherche.
Jusqu'en 1870, la faculté de Strasbourg décerne environ 75 doctorats par an et ses professeurs mettent un point d'honneur à diriger des thèses de qualité. En 1833, Strasbourg est la première faculté à récompenser les meilleures thèses par un prix, initiative reprise en 1858 par Paris et Montpellier. La faculté n'apprécie guère les sujets fantaisistes ou irrévérencieux, et ne connaît qu'un scandale lié à une thèse, en 1928 : cette année-là, un étudiant présente un thèse intitulée « Les examens, tels qu'ils sont constitués en médecine, arrêtent-ils les incapables et, dans le cas de la négative, que pourrait-on leur substituer ? ». Le sujet fut validé par la faculté mais refusé inextremis par le recteur, ce qui conduisit l'étudiant à en rédiger une autre, sur un sujet chirurgical beaucoup plus neutre.
Au-delà d'un souvenir de fin d'études pour les médecins, les milliers de thèses soutenues dans toute la France, et dans le monde entier, depuis plusieurs siècles, représentent un patrimoine considérable. Pour l'historien, certaines thèses anciennes recèlent de précieuses informations, en particulier lorsqu'elles portent sur des sujets de santé publique ou de pratique médicale, qui ont fait l'objet de moins d'études que les questions purement médicales, généralement traitées par des livres et des cours. Mais on partage souvent l'avis des professeurs de 1895 lorsqu'on les consulte : certaines sont passionnantes, mais d'autres semblent d'une pauvreté désespérante. Enfin, rappelons que de nombreuses thèses de médecine, autrefois comme aujourd'hui, ont été consacrées à des sujets historiques… avec là aussi le meilleur qui côtoie le pire, trop d'étudiants croyant encore, à tort, qu'une thèse à caractère historique est plus facile qu'une thèse à dominante médicale.
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