QUE PEUT-ON exiger d'un ancien terroriste ? Qu'il se repente pour ses crimes s'il ne renonce pas à ses idées. Jean-Marc Rouillan, 56 ans, a fait seize ans de prison après avoir été condamné pour les assassinats de René Audran, ingénieur général (en 1985), et Georges Besse, P-DG de Renault, en 1986. Il les a abattus de sang-froid. Il n'a jamais exprimé le moindre remords. Il a publié plusieurs livres dans lesquels il exalte la lutte armée pour changer la société. Il n'a pas admis que les crimes qu'il a commis n'ont servi à rien puisqu'il n'y a pas eu de révolution en France.
La justice française s'est contentée d'appliquer la loi à M. Rouillan ; elle l'a fait avec fermeté mais sans acharnement. Seize ans de prison pour la destruction de deux vies humaines, ce n'est certainement pas la peine la plus cruelle. Voilà que, interrogé par « l'Express » sur ses actes terroristes, Rouillan déclare : «Je n'ai pas le droit de m'exprimer là-dessus… Mais le fait que je ne m'exprime pas est une réponse. Car il est évident que si je crachais sur tout ce qu'on avait fait, je pourrais m'exprimer. Par cette obligation de silence, on empêche aussi notre expérience de tirer son vrai bilan critique.»
Un tour du côté du NPA.
Le 2 octobre, le juge d'application des peines rend une ordonnance qui suspend la mesure de semi-liberté dont bénéficie Rouillan. Motif : il n'a pas le droit de s'exprimer sur les faits qui lui ont valu une condamnation. Entre-temps, Rouillan, profitant de sa « semi-liberté », était allé faire un tour du côté du NPA où sa présence a créé un malaise et un débat entre ceux qui trouvaient sa présence « logique » et ceux qui, pour défendre les thèses de l'extrême gauche, ne préconisent pas la violence pour autant.
LA PRESENCE DE ROUILLAN AU NPA RISQUERAIT DE DENATURER LE MOUVEMENT DE BESANCENOT
Deux éléments très clairs ressortent du cas Rouillan : le premier est mineur et d'ordre moral. La sérénité avec laquelle Rouillan revendique son passé est une insulte aux familles de ses victimes. La notion que ces crimes, en définitive, étaient inutiles et absurdes, un chef d'entreprise ou un haut fonctionnaire ne pouvant en aucune manière assumer les dérives réelles ou supposées d'une société tout entière, ne l'effleure toujours pas. De sorte qu'il nous incite à penser que la peine qu'il a subie et subit encore demeure insuffisante. Il ne comprend pas, de la même manière que nous ne le comprenons pas.
Le second élément est politique. Quand Rouillan est arrivé au NPA, Alain Krivine, fondateur de la LCR, Ligue communiste révolutionnaire, qui a donné naissance au NPA, a déclaré : si Rouillan «accepte (notre) programme, il viendra, on ne demande pas aux gens leur passé». M. Krivine s'est empressé de réaffirmer l'hostilité de son mouvement aux méthodes d'Action directe, la cellule terroriste de Rouillan, à l'époque des faits comme aujourd'hui.
Il se trouve cependant que, pour Rouillan, le passé et le présent sont identiques, qu'il n'a pas changé d'idée et que, dès lors qu'il n'est parvenu à aucun de ses objectifs politiques, il recourra peut-être à la violence pour les réaliser. On a pu entendre ou lire des commentaires un peu légers qui dénonçaient « l'hypocrisie de la justice », laquelle prétendrait modifier la pensée politique de Rouillan ou lui laver le cerveau. Ce n'est pas vrai. La justice est responsable de l'ordre public ; elle doit prévenir tout risque de violence.
Dans ces conditions, le NPA est menacé par sa complaisance apparente pour Rouillan ; l'ancien terroriste a parfaitement le droit de suggérer aux Français de s'insurger contre l'ordre capitaliste, il n'a pas celui de déclencher des troubles pour obtenir cette insurrection. La présence de Rouillan en son sein créerait aussitôt un amalgame entre mouvement révolutionnaire et violence révolutionnaire.
Un Besancenot ambigu.
Olivier Besancenot, qui bénéficie d'une cote de popularité relativement élevée, ignore-t-il le danger qui guette son Nouveau Parti anticapitaliste ? Bille en tête, il dénonce aujourd'hui les misères que la justice française fait à Rouillan ; autrement dit, il n'est pas sûr de vouloir de l'ancien terroriste dans ses rangs, mais il serait de son devoir de le défendre face à la justice.
Jean-François Copé, chef des députés UMP, qui a souvent dit que Besancenot était pour la gauche ce que Le Pen a été pour la droite classique, voit dans le rapprochement NPA-Rouillan une stratégie semblable à celle de Jean-Marie Le Pen il y a vingt ans, «c'est-à-dire un système dans lequel on vient chercher très à gauche, en ne reculant jamais devant aucune provocation». Il demeure que, si M. Besancenot veut élargir son assise en grignotant une partie de l'électorat du PS, il ne saurait laisser le NPA basculer dans un genre très différent du mouvement politique. Il nous semble d'ailleurs que, si le NPA ne prend pas très vite ses distances avec Jean-Marc Rouillan, l'entreprise de longue haleine que M. Besancenot a lancée est vouée à l'échec. Ce dont ni Besancenot ni Rouillan ne semblent s'apercevoir, c'est que l'assassinat politique est non seulement inqualifiable, mais affreusement anachronique.
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