Le paludisme crée la surprise en Malaisie

Un Plasmodium du macaque

Publié le 29/03/2004
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LES CHOSES SE PASSENT à Sarrawak, région située dans le nord de la Malaisie orientale. Là, entre 1998 et 2002, l'incidence annuelle de paludisme était de 2 496 à 3 155 cas, avec la répartition suivante : P. vivax : 69 % ; P. falciparum : 19,7 % ; P. malariae : 9,4 % ; infections mixtes : 1,8 % ; P. ovale : 0 %. Mais, parmi les neuf divisions administratives, une - Kapit - se distinguait par le fait que, en 1999, en microscopie, P. malariae représentait 20 % des cas.
Et tous les cas liés à ce type étaient cliniquement atypiques.

Plasmodium knowlesi.

Pour résoudre ce petit mystère, Babir Singh et coll. ont conduit une étude à Kapit : entre mars 2000 et novembre 2002, ils ont recueilli les échantillons sanguins de 208 personnes ayant un paludisme. D'abord, sur huit isolats considérés, au microscope, comme étant P. malariae, ils ont conduit une étude génétique. Résultat : toutes les séquences de DNA étaient sur le plan phylogénétique impossibles à distinguer de celles de Plasmodium knowlesi, un parasite du macaque à longue queue, et différentes des séquences des autres espèces de Plasmodium.
Ensuite, lors des études par PCR (Polymerase Chain Reaction), chez 120 des 208 malades (58 %), on a trouvé une positivité pour P. knowlesi mais aucune pour P. malariae.
Dans les érythrocytes humains, les P. knowlesi étaient très difficiles à distinguer des P. malariae.
La plupart des infections à P. knowlesi concernaient des adultes ; toutes ont été traitées avec succès par chloroquine et primaquine.
« Dans notre étude, les infections naturellement acquises à P. knowlesi, pris en microscopie pour P. malariae, représentaient plus de la moitié des cas de paludisme (...) Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer si ces infections humaines ont (par l'intermédiaire d'un vecteur) été contactées auprès de macaques ou auprès d'hommes », indiquent les auteurs.

Agent contre la neurosyphilis dans les années 1930.

Plasmodium knowlesi n'est pas un inconnu. Il a été identifié en 1931 chez les macaques à longue queue, Macaca fascicularis ; il est léthal pour le singe rhésus (Macaca mulatta). En 1932, on a compris, après inoculation de sang infecté, qu'il état infectieux pour l'homme. Dans les années 1930, on a utilisé P. knowlesi comme agent pyrétique pour le traitement de la neurosyphilis. Il est actuellement utilisé en laboratoire pour étudier l'invasion des globules rouges et pour la recherche d'un vaccin. Son séquençage est en cours.
La première infection naturelle à P. knowlesi a été décrite en 1965 chez un touriste américain revenant d'un voyage dans la péninsule malaisienne. Puis, il y a eu, en 1971, un cas présumé naturel dans cette même péninsule.
On sait que les quatre Plasmodium humains peuvent aussi infecter le singe hibou et le singe écureuil et que P. vivax infecte les chimpanzés. P. malariae provient des chimpanzés et, en Afrique du Sud, est retourné de l'homme au primate, en devenant P. brasilianum.
La transmission de singe à homme ou d'homme à homme de P. knowlesi par les moustiques peut s'observer dans des conditions expérimentales. Mais on ne sait pas ce qu'il en est dans ce foyer découvert à Kapit. Les moustiques du groupe Anopheles leucosphyrus sont capables de transmettre ce parasite et sont présents à Kapit - ce qui ne veut pas dire qu'ils représentent le vecteur ; et les hôtes naturels du parasite (le macaque à longue queue et le macaque queue-de-cochon -  M. nemestrina) sont aussi présents à Kapit. Mais les chercheurs ne savent pas si ces macaques-là sont infectés par P. knowlesi.
En tout cas, ils sont déjà au travail pour identifier le réservoir naturel, le vecteur moustique et le cycle de transmission de P. knowlesi à Kapit.
Quoi qu'il en soit, peut-être l'homme partage-t-il avec le singe, davantage qu'on ne le croit, des parasites du paludisme.
Enfin, indique N. J. White dans un éditorial, puisque les singes ont moins utilisé de médicaments contre le paludisme que les hommes, leurs parasites y sont sensibles.

«The Lancet » du 27 mars 2004, pp. 1017-1024 et 1005.

> Dr EMMANUEL DE VIEL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7509