« La maltraitance envers les anciens, cette inconnue »: tel est le thème de la mission, plus prosaïquement intitulée « Prévenir les maltraitances envers les personnes âgées », qu'a confiée en septembre 2001 Paulette Guinchard-Kunstler au Pr Michel Debout (CHU de Saint-Etienne, professeur de médecine légale et membre du Conseil économique et social).
Son rapport* a été transformé par la secrétaire d'Etat aux Personnes âgées en Programme de bientraitance fondé sur le respect de la vieillesse. Selon le Pr Debout, les violences et négligences subies par les anciens souffrent de la loi du silence et de l'ignorance. Rares sont les victimes, si elles existent, qui ont osé porter plainte.
Les seules sources d'informations en la matière demeurent limitées et partielles. « Pour tenter de faire un état des lieux, nous avons puisé exclusivement dans les données recueillies par l'association ALMA (Allô Maltraitance Personnes âgées) , lancée par le Pr Robert Hugonot en 1995 et qui est implantée dans une vingtaine de départements », explique au « Quotidien » Michel Debout. En 1995, sur 1 694 appels, 22 % mentionnaient de « faits de maltraitance » ; 5 ans plus tard, le taux était de 64 % pour 5 327 appels téléphoniques.
Pour l'ensemble de la période (1995-2000), plus de 8 600 appels relevaient d'une situation de maltraitance. En 2000, 28 % provenaient de personnes en institution et 65 % d'hommes et de femmes vivant à domicile. Mais « il serait hâtif d'en tirer des conclusions », souligne le spécialiste. Les violences physiques (20 %), psychologiques (30 %), financières (30 %), les négligences (15 %, l'abandon par l'entourage, comme l'absence de toilette, ou une nourriture insuffisante), voire les « mauvaises pratiques médicales » (12 %, traitements inadaptés, soins mal effectués) peuvent être imputables à la famille et au milieu institutionnel. Trois victimes sur quatre sont des femmes « très, très âgées ».
Une enquête nationale
Pour l'heure, le phénomène est trop mal connu pour qu'on puisse en dire plus. C'est pourquoi le plan Guinchard-Kunstler retient la nécessité de lancer une enquête nationale, comme ce qui a été fait pour les violences envers les femmes.
Le groupe de travail du Pr Debout préconise l'ouverture d'une rubrique spécifique dans les registres de faits divers de la police et de la gendarmerie. Il avance même l'idée d'un Observatoire national des violences qui colligerait l'ensemble des données épidémiologiques sur les brutalités en tous genres.
La secrétaire d'Etat mobilise les départements : elle souhaite utiliser les schémas gérontologiques départementaux et les centres locaux d'information et de coordination gérontologiques (CLIC), qui seront au nombre de 1 000 en 2005. Les dispositifs téléphoniques et d'accueil, de type ALMA, doivent couvrir tout le territoire. Ils pourraient être épaulés, pour démêler des cas complexes, par une commission technique et éthique, composée de spécialistes, suggère le Pr Debout, qui souhaite aussi la constitution de comités de pilotage départemental, « afin de créer une dynamique ». Toujours, à l'échelon départemental, les campagnes de proximité contribueront à « positiver la relation avec la personne âgée ».
Un guide des bonnes pratiques
Le devoir de dignité et de respect apparaît comme étant la clé du plan Guinchard-Kunstler. « Il faut favoriser la bientraitance ». Les professionnels de santé et les aidants familiaux sont tout particulièrement concernés. Un Guide des bonnes pratiques, adapté à chaque intervenant, devrait voir le jour. Pour les médecins, l'enseignement obligatoire de la gériatrie comportera à terme un module maltraitance et, dans les dossiers médicaux et infirmiers, figurera un item sur les violences exercées envers les anciens. Quant aux établissements d'hébergement, les missions d'évaluation prendront en compte le critère de « bientraitance ».
L'accent est mis sur l'hébergement temporaire et sur l'accueil de plans gériatrie et Alzheimer.
Enfin, la lutte contre les « situations de confinement », génératrices de « dérives » et donc de « violences », est engagée. Il faut élargir le champ relationnel, tant pour la personne âgée elle-même qu'au nom de l'aidant. Des « chèques liberté » vont être mis en circulation, à titre expérimental dans un premier temps, pour permettre à la personne âgée, à domicile ou en maison de retraite, de louer les services d'un intervenant qui l'accompagnera en ville (course, spectacles) ou en vacances. Un Fonds de péréquation sera alimenté par les caisses de retraite, les départements et les communes.
« Il importe de ne plus mésestimer la personne âgée, de ne pas la mettre à distance en l'infantilisant, par exemple, insiste le Pr Michel Debout. Le regard porté sur la vieillesse, lorsqu'il est teinté par l'âgisme (le négatif du jeunisme) facilite l'apparition de situations de maltraitance. » Il est temps d'entrer dans l'ère de la « bientraitance », comme le suggère Paulette Guinchard-Kunstler.
* Ont participé à la réalisation du rapport confié au Pr Debout, le Pr Hugonot, ainsi que les Drs Gontier et Moulias, gériatres, Hervé (éthique), Blanchard, gérontologue, Maisondieu, psychiatre, et Servadio, généraliste.
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