A la veille d'un voyage en Israël la semaine dernière, le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, avait établi une distinction entre le terrorisme qui a endeuillé les Etats-Unis et la lutte des Palestiniens pour leur droit à l'autodétermination.
Aussitôt, le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, a réagi en suggérant au gouvernement britannique l'annulation du voyage de M. Straw. Il a fallu que Tony Blair téléphone à M. Sharon pour que la rencontre soit maintenue. De retour en Grande-Bretagne, M. Straw, dans un discours prononcé à Brighton, a estimé que « les Palestiniens aussi méritent de vivre en sécurité ». Ce que personne ne contestera, à ceci près que, si M. Straw enfonce le clou en insistant sur la légitimité de la cause palestinienne, ce n'est pas par hasard.
Informations concordantes
On a appris presque simultanément que le gouvernement américain, avant le 11 septembre, s'apprêtait à se prononcer publiquement en faveur de la création d'un Etat palestinien et qu'il devait le faire à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies, à la fin de septembre (la réunion a été annulée). George W. Bush a apporté une confirmation à cette rumeur en se prononçant mardi pour la création d'un Etat palestinien, ce qui n'est pas surprenant et ne l'engage pas outre mesure, mais entre dans un faisceau d'informations concordantes : la politique des puissances les plus proches d'Israël est en train de changer au détriment du gouvernement de M. Sharon.
Lequel est divisé ; Shimon Peres, ministre des Affaires étrangères, qui a conclu une trêve avec Yasser Arafat sans que le niveau de la violence n'ait baissé, s'en est pris aux généraux israéliens qui, selon lui, torpillent la trêve par une répression excessive des émeutes en Cisjordanie et à Gaza.
Il est vrai que M. Sharon, qui a fait avec M. Peres le mariage de la carpe et du lapin, semble avoir tiré profit de la crise sécuritaire aux Etats-Unis pour frapper plus durement les insurgés de l'intifada. La gravité des attentats du 11 septembre n'a pas empêché le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, de le rappeler à l'ordre. De sorte que M. Sharon a été contraint de modérer le comportement de son armée.
Le conflit israélo-palestinien est donc directement influencé par le contexte qu'ont créé les attentats. Les terroristes, encore une fois, n'ont pas attaqué les Etats-Unis parce que le sort des Palestiniens les désespère mais parce qu'ls ont une ambition planétaire nourrie par le fondamentalisme. Les Etats arabes dits modérés ont voulu lier les deux affaires et y sont parvenus : ils ont soumis leur coopération avec les Etats-Unis à une action américaine en faveur des Palestiniens. Malgré les déclarations de M. Bush, qui a mis en avant le rôle d'une négociation fondée sur le document Mitchell, il ne semble pas que les dirigeants américains aient déjà accepté le marché (ou, si l'on préfère, qu'ils se soient pliés au chantage) : l'Arabie saoudite, d'où viennent beaucoup de terroristes nourris aux enseignements de la secte wahhabite, a refusé que son territoire serve de base aux Américains pour toute opération contre l'Afghanistan, bien qu'elle ait consenti à rompre ses relations avec Kaboul. Son gouvernement, qui n'est pas précisément un modèle de démocratie, a oublié qu'il n'existe encore que parce que l'Amérique a forcé l'Irak à évacuer le Koweit il y a dix ans. Tout comme la Ligue arabe qui a « mis en garde » les Etats-Unis contre tout projet d'attaquer un pays arabe.
En fait, les tractations entre les Etats-Unis et le monde arabe baignent dans le contexte israélo-palestinien. D'emblée, le roi de Jordanie a attribué les attentats au conflit ; le président égyptien, Hosni Moubarak, en fait tout autant. Satisfaits de ce que, cette fois, Yasser Arafat ait fait le bon choix en dénonçant les attentats (contrairement au soutien qu'il a apporté, à son grand détriment, à Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe), l'Egypte et la Jordanie veulent retourner la situation contre Israël ; alors que M. Sharon espérait assimiler le terrorisme du 11 septembre au terrorisme palestinien. Mais le Premier ministre israélien ne peut même pas compter sur son propre gouvernement, dès lors que M. Peres condamne des actions militaires qui n'ont pu avoir lieu qu'avec le consentement de M. Sharon.
Les intentions de Bush
Ce qui compte, ce sont les intentions de M. Bush. S'il était las de la conduite de M. Sharon avant les attentats, il peut très bien envisager aujourd'hui de monnayer la coopération des Etats arabes en matière de sécurité contre un règlement, imposé ou arraché, de la question palestinienne. Non seulement M. Bush n'est pas Bill Clinton, mais il doit gérer une crise que n'a pas connue son prédécesseur. Une crise qui le contraint à négocier avec un certain nombre de pays qui sont autant de foyers du terrorisme et qui, de ce fait, sont les mieux renseignés. C'est un des paradoxes de la guerre secrète qui a commencé il y a trois semaines : certains réseaux ont été plus ou moins tolérés jusqu'à présent par les Etats arabes (et aussi par des pays européens, la Grande-Bretagne notamment) et on ne peut les combattre sans mettre fin à cette tolérance. Ce qui signifie que les gouvernements arabes (mais aussi européens) doivent prendre des risques. Ces risques, ils veulent que l'Amérique en paie le prix.
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