De notre correspondant
B IEN que plusieurs familles des victimes des agissements de Courtney, qui a 48 ans et possède deux pharmacies à Kansas City, jugent que son crime est épouvantable, le procureur va avoir beaucoup de mal à faire condamner le pharmacien pour homicide.
Courtney, qui plaide non coupable, est accusé d'avoir dilué des solutions pour injections intraveineuses contenant deux anticancéreux, Taxol et Gemzar, administrés à des centaines de patients pendant une période de dix-huit mois allant de novembre 2000 à mai 2001, date à laquelle il a été démasqué par un médecin.
Les solutions qu'il faisait parvenir aux praticiens étaient diluées dans des proportions variables et ne contenaient parfois que un pour cent de médicament. Cependant, aucun des praticiens dupés par Courtney n'est, pour le moment, en mesure de lier directement le décès d'un de ses patients au faible dosage du médicament. Aussi Courtney ne répond-il pour le moment que de chefs d'accusation relatifs à l'altération ou au changement de nom d'un médicament.
Sans précédent
On ne connaît aux Etats-Unis aucun précédent à ce genre de crime. Les ouvrages de droit sont donc complètement muets sur les agissements de Courtney. Les juristes notent en outre qu'il sera très difficile de prouver, après la mort d'un patient, qu'il est bien décédé d'une insuffisance de médicaments. Or l'accusation doit prouver, « au-delà d'un doute raisonnable », le lien de cause à effet entre l'altération du traitement et le décès. De leur côté, les avocats de Courtney posent une question simple : comment peut-on démontrer que le patient ne serait pas mort de toute façon et même s'il avait reçu le médicament en quantité adéquate ?
Bien qu'il plaide non coupable, Courtney a reconnu devant les enquêteurs du FBI qu'il avait changé le dosage des deux médicaments dans les solutions pour gagner de l'argent. Aujourd'hui, sa fortune est évaluée à 10 millions de dollars (70 millions de francs) et les patients qui se sont constitués partie civile s'adressent à un accusé relativement solvable.
Mais leurs avocats ne se contenteront pas de confondre Courtney. Ils mettent en cause le laboratoire pharmaceutique qui produit le médicament. C'est en effet un vendeur de ce laboratoire, Darryl Ashley, qui, en mai dernier, a alerté un médecin traitant, le Dr Vera Hunter, au sujet des contradictions qu'il avait notées entre les commandes que lui passait Courtney et les factures que le pharmacien envoyait à la praticienne. Le Dr Hunter fit analyser les concentrations de médicament dans les solutions pour injections intraveineuses, constata leur dosage insuffisant et alerta aussitôt le FBI, qui déclencha une enquête, dont les conclusions furent publiées au début du mois d'août et conduisirent à l'arrestation de Courtney.
Les avocats qui ont porté plainte pour le compte de plusieurs familles de patients affirment que le laboratoire a été mis au courant de la conduite de Courtney dès le début de l'année et qu'il n'a pas réagi jusqu'à l'enquête du FBI, ce qui, selon eux, a fait perdre un temps précieux. Le laboratoire a récusé cette présentation des faits et, en tout état de cause, les parties civiles, elles aussi, auront beaucoup de difficultés à prouver que des décès ont été provoqués par l'inertie du laboratoire.
Les juristes américains estiment que ce cas judiciaire unique va contribuer au développement d'une jurisprudence jusqu'à présent absente et permettra plus tard de faire face aux criminels qui mettent en danger la santé de la population.
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