Une boisson divine
L’arbre, ses fruits et les dérivés que les Mayas en obtiennent acquièrent un caractère sacré aux yeux de tous les peuples qui forment la mosaïque des civilisations précolombiennes d’Amérique centrale. Les planteurs de cacao célébraient en l’honneur de Chac (dieu de la pluie), Hobnil (dieu de la fertilité) et Ek Chuah (dieu des marchands) des rituels lors de la plantation des graines, et les fèves étaient utilisées lors des nombreux rituels magiques qui scandaient les événements importants de la vie : naissances, mariages, maladies, batailles, enterrements, etc. Les Toltèques (époque postclassique 950-1500) firent du cacaoyer le symbole de la réincarnation terrestre au monde végétal. Associé au sang, dont les fèves ont la couleur, le cacao représente de par son amertume la transcription sensible de toutes les souffrances endurées.
A partir du IXe siècle, la civilisation Maya commence à décliner. Les Aztèques, peuple guerrier du Nord, les envahissent, adoptent nombre de leurs coutumes et renomment le « chacau haa » en « xocolatl ». Ce mot issu de la langue nahuatl alors parlée dans le Mexique central est dérivé des termes : amer (xocolli) et eau (atl). Les Espagnols achèvent ensuite sa transformation pour l’actuel « chocolate », connu de tous. Les Aztèques croyaient que le dieu Quetzalcóatl (le Serpent à plumes) voyageait jusqu’à la Terre sur une poutre amenant un arbre de cacao du Paradis. Ils apprirent de Quetzalcóatl comment griller et moudre les graines de cacao, faisant une pâte nourrissante qui pouvait se dissoudre dans l’eau et que, à la différence des Mayas, ils chauffèrent. Ils pilaient les grains de cacao à genoux, au moyen d’un mortier moitié en bois, moitié en fer, et légèrement chauffé sur une pierre plate : la matate. Les fèves étaient ensuite grillées et concassées avec des épices, notamment du poivre, de la cannelle et du roucou, puis tamisées.
Le fruit qui renferme les précieuses fèves, la cabosse, demeura donc pendant tout leur règne un élément majeur de la vie sociale, économique et religieuse, jusqu’au jour où ils durent plier sous le joug de ceux qui allaient dominer la moitié du monde : les Espagnols.
L’Europe sous le charme
On raconte que Christophe Colomb jeta par-dessus bord les fèves qu’il avait reçues des Amérindiens car il les aurait prises pour des crottes de chèvre. Il laissa ainsi à Hernán Cortés le privilège d’être le premier, en 1528, à en rapporter à ses maîtres. « Une tasse de cette précieuse boisson permet à un homme de marcher un jour entier sans manger.» C’est par ces mots que le célèbre conquistador espagnol décrit à son roi Charles V le breuvage qu’il ramène de l’empire aztèque lors de son retour en terres de Castille en 1528. La boisson issue des fruits des plantations que lui avait offertes Moctezuma, empereur des Aztèques, est d’abord jugée trop amère. Une recette est alors mise au point qui remplace le roucou et le poivre par du sucre d’agave : Charles Quint en fait rapidement un monopole d’Etat. Les Hollandais, alors en guerre contre l’Espagne, organisent une contrebande active et inondent la France et l’Italie de tonnes de fèves. Des juifs fuyant l’Inquisition se réfugient à Bayonne et créent les premiers ateliers de traitement de cacao. La contagion gagne l’Allemagne, la Pologne et la Cour de France, où Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne et femme de Louis XIII, enseigne à son roi de mari les plaisirs de cette boisson si exotique. Le succès est surtout très marqué auprès des femmes et des moines, qui en raffolent. Le duc d’Albe s’en constitue une cave, Madame de Sévigné vante ses mérites, Anne d’Autriche institue une charge de chocolatier de la reine, et le chocolat devient petit à petit une boisson très populaire jusqu’à la Régence, qui voit le phénomène se démocratiser grâce à la mécanisation.
Naissance d’une industrie
L’utilisation de la machine à vapeur à la fin du XVIIIe siècle permet de moudre le cacao rapidement et en grandes quantités, tout comme de commencer à vendre du chocolat chaud dans les rues. Au début du siècle suivant, nombre d’ingénieurs et de chocolatiers mettent au point des techniques capables de faciliter les processus de transformation de la fève et, en 1828, Van Houten dépose un brevet pour son chocolat en poudre. Vingt ans plus tard, la maison Fry de Bristol moule la première plaquette de chocolat. En 1875, le chocolat au lait fait son apparition et, en 1879, Rodolphe Lindt met au point un procédé appelé « conchage » qui permet d’affiner la texture en brisant les particules grossières et en rendant la pâte de cacao fondante et onctueuse. Le 1er octobre 1925, le New York Cocoa Exchange ouvre ses portes au World Trade Center, et la culture du cacao, produit qui possède désormais sa propre Bourse, se répand en Asie et en Afrique.
Découvert et exploité par les empires des civilisations précolombiennes d’Amérique centrale, le cacao a permis à d’autres empires contemporains et industriels de prospérer sur son principal produit de transformation : le chocolat. Aujourd’hui, cinq géants de l’agroalimentaire contrôlent 60 % du marché mondial.
De la cabosse à la tablette
Avant d’arriver sur la table du consommateur, les étapes sont nombreuses pour transformer les fèves du cacaoyer en chocolat. Cet arbre est d’une culture exclusivement tropicale et a besoin de beaucoup d’humidité naturelle : elle doit être supérieure à 90 %. Au bout de sa douzième année, il atteint près de 8 mètres et donne ses premiers fruits entre la cinquième et la septième année, bien que les méthodes actuelles permettent les premières récoltes à partir de la troisième année.
La cabosse est fendue avec une machette et vidée de ses fèves et de sa pulpe. Les fèves sont ensuite recouvertes de feuilles de bananier et mises à fermenter pendant une semaine. Cette opération débarrasse les fèves de leur pulpe, réduit le goût amer et développe les précurseurs d’arôme. Elles sont ensuite séchées, parfois lavées, puis expédiées sur un autre lieu de transformation. Elles sont torréfiées afin d’augmenter l’arôme, comme pour le café, et sont ensuite broyées et transformées en éclats que l’on appelle nibs ou grué. Les grains de cacao sont transformés en pâte liquide : la masse de cacao. Le beurre de cacao est alors séparé de la masse par pression. Après affinage, des ingrédients sont ajoutés en fonction du type de chocolat que l’on veut obtenir, pour le chocolat noir, pâte de cacao, beurre de cacao et sucre ; pour le chocolat au lait, pâte de cacao, beurre de cacao, lait en poudre et sucre ; et, pour le chocolat blanc, beurre de cacao, lait en poudre et sucre. Enfin, le chocolat est passé au conchage (chauffage destiné à augmenter l’onctuosité et l’arôme), puis au tempérage (refroidissement très contrôlé pour obtenir la cristallisation).
Des vertus observées par les anciens
Mayas et Aztèques utilisèrent largement les propriétés hydratantes du beurre de cacao, cette substance obtenue après plusieurs étapes de transformation. Ce baume devint ainsi partie intégrante de la pharmacopée pour cicatriser gerçures et brûlures, soigner le foie ou les poumons, et remède préventif contre les morsures de serpent. La fleur du cacaoyer servait, en outre, pour toutes sortes de blessures ou d’affections, allant d’une plaie à la main à la timidité… Plus tard, le chocolat a également été utilisé en tant que remède médicinal et il fut, paraît-il, donné en cure au cardinal de Richelieu. Au XVIIIe siècle, un consensus apparaît peu à peu en sa faveur : la plupart des botanistes et médecins reconnaissent au chocolat des vertus digestives et des propriétés dynamisantes. Un docteur dénommé Bligny en vient même à le prescrire en 1717 pour guérir le rhume, la flexion de poitrine, la diarrhée, la dysenterie et… le choléra. Quelques années plus tard, en 1735, le naturaliste suédois Carl von Linné, persuadé des bienfaits du produit, nomme le chocolat « Theobroma Cacao » ou « nourriture des dieux ».
Aujourd’hui, si l’on n’absorbe plus de chocolat pour se soigner, on lui prête néanmoins de nombreuses vertus que des études récentes tentent de corroborer avec plus ou moins de succès. Elément intéressant de sa composition, sa teneur importante en magnésium doit tout de même être relativisée selon le type de chocolat consommé (le noir à 70 % de cacao apporte trois fois plus de magnésium que son homologue au lait !) et en gardant à l’esprit que d’autres aliments comme les amandes, les haricots ou le poisson présentent des taux similaires, voire nettement supérieurs.
Riche en flavanols
En revanche, la présence dans les chocolats noir et au lait de grandes quantités de tanins est une piste sérieuse pour évoquer des effets cardioprotecteurs. Ces polyphénols, et en particulier les flavanols (épicatéchine, catéchine, procyanidines…), ont en effet une action antioxydante favorable à la prévention cardio-vasculaire. Ces flavanols du cacao inhibent l’oxydation des particules LDL cholestérol et participent ainsi à la prévention de la formation de plaques d’athérome. Deux études ont également montré qu’ils diminueraient la production de cytokines impliquées dans la progression de l’athérosclérose et qu’ils réduisent la tension artérielle. Mais attention, en plus des tanins, le chocolat contient des graisses et du sucre, et les études sur son rôle protecteur des vaisseaux restent trop parcellaires pour conclure à un bénfice certain. En déduire que le chocolat est bon pour le coeur est donc un pas qu’il convient de franchir avec la plus grande prudence au vu des données actuelles. D’autant qu’il convient de toujours rappeler que tous les chocolats ne se valent pas ! Consommé en quantité raisonnable et dans ses formes les plus nobles, le chocolat a en tout cas de beaux atouts à faire valoir. C’est une source de tonus et de bien-être qui passe pour avoir des effets antidépresseurs, dont les mécanismes ne sont pas encore bien élucidés. A part un : celui de se faire plaisir et de savourer un petit moment de volupté, ce qui n’est pas négligable !
Les pays producteurs
Côte d’Ivoire 35,8 %
Ghana 10,3 %
Cameroun 4 %
Brésil 10,9 %
Malaisie 8,3 %
Equateur 3,2 %
Indonésie 10,5 %
Nigeria 5,5 %
Colombie 2,1 %
C’est la fête !
Même si 30 % des Français en consomment quotidiennement, le chocolat sous toutes ses formes est plus particulièrement apprécié (et surtout offert) lors des fêtes ou autres moments de convivialité qui émaillent l’année de tout un chacun. La répartition est la suivante :
– 75 % lors des fêtes de fin d’année ;
– 54 % à Pâques ;
– 40 % pendant des fêtes de famille ou entre amis ;
– 24 % pour les anniversaires ;
– 12 % en d’autres occasions.
Tous fans de chocolat
Une enquête de 2005 réalisée par le Credoc montre à quel point le chocolat est apprécié dans notre pays. Plus de 80 % des adultes de plus de 14 ans déclarent ainsi l'aimer beaucoup et seulement 16 % ne l'apprécient que moyennement. Restent 3 % de réfractaires pour lesquels le chocolat n'est pas synonyme de plaisir gustatif. Lorsque l'on se réfère au plus de 35 ans, entre 70 et 84 % des personnes interrogées avouent avoir une image très positive du chocolat. Il est d'ailleurs le plus souvent associé à la notion de plaisir, de gourmandise et de douceur.
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