C'est un bien joli titre qu'a choisi l'auteur pour un livre qui couronne « cinquante années de pédiatrie » . Mais les « Cinq sous de glace », ainsi mis en relief, évoquent une histoire plutôt triste, celle d'un petit garçon meurtri par les incohérences d'un père dont la maladie mentale n'était pas, à l'époque, reconnue comme telle. N'est-il pas « horrible pour un enfant de ne pas comprendre », par exemple quand un père entre « dans une rage folle » en reprochant à son fils l'achat de dix sous de glace à rafraîchir en lieu et place des cinq sous de glace commandés à l'enfant, et que, finalement, ce même père, face au marchand, achète, non plus cinq sous, non plus dix sous, mais vingt sous de glace ?
Le Dr Cohen-Solal a certes souffert de ce père maniaco-dépressif, si difficile à vivre, et il a mis des années à « s'affranchir du repli moral que peut engendrer ce genre d'événement ». Mais lecteur enthousiaste de « Un merveilleux malheur » de Boris Cyrulnik, il sait que « les tourments de l'enfance forgent parfois les caractères » et que les incohérences d'un père sont « sans doute » l' « une des sources de (sa) recherche personnelle de la pensée logique ».
Et puis, si le Dr Cohen-Solal peut aujourd'hui regarder avec satisfaction le chemin parcouru, s'il aime la vie et entend bien aider d'autres à l'aimer, c'est aussi parce qu'à côté du père joueur, tyran domestique - mais cultivé -, était une mère qui ressemble manifestement, du point de vue du pédiatre, à la mère idéale. Aujourd'hui encore, s'il admet, les temps obligent, que les mères ne peuvent plus guère rester avec leurs petits jusqu'à l'âge de 3 ans, il reste marqué par l'image d'une mère toute dévouée à ses enfants et pleine de confiance en eux, gage de l'indispensable sécurité de base.
Un militant ardent
Tout aussi enchanteur est le tableau que brosse l'auteur de l'Algérie de son enfance et de son adolescence, gaie et ensoleillée. Le jeune Julien n'en est pas moins sensible à la misère des enfants arabes qui cirent les chaussures ou plongent pour quelques pièces. Ce qui le conduira à 17 ans vers le Parti communiste, resté longtemps plus important dans la vie de l'auteur que son métier de médecin. C'est donc autant l'histoire d'un militant ardent que celle d'un brillant étudiant en médecine, en Algérie d'abord, puis à Paris, qui suit le récit de l'enfance.
On rencontre certes de grands noms de la pédiatrie, à commencer par Robert Debré, responsable du choix de Julien Cohen-Solal, on visite bien des salles de malades, mais les grands élans se situent d'abord plutôt du côté de l'action communiste, que de la médecine proprement dite. Les choses finiront par s'inverser avec la révélation des crimes de Staline et avec le passage à la pédiatrie. Et c'est avec beaucoup de conviction que l'auteur défend aujourd'hui les vaccins contre les attaques dont ils font l'objet de la part de certains, l'importance de la psychologie en pédiatrie ou le rôle essentiel du pédiatre.
La vie privée s'imbrique sans problème avec la présentation de convictions qui y puisent bien souvent leurs racines, comme avec le déroulement d'une vie professionnelle riche, hospitalière et privée, médiatique également à partir du livre « Comprendre et soigner son enfant » dans les années soixante-dix. Ainsi, le fils de l'instituteur qu'est l'auteur comptera-t-il précocement le sort de l'enfant à l'école parmi ses préoccupations de pédiatre. Ainsi, le père trop occupé mettra-t-il plus tard son expérience émerveillée d'un second enfant, puis, encore beaucoup plus tard, de ses petits-enfants, au service de ses jeunes clients et de leurs parents.
De « trois quarts de siècle » d'expérience, il y a certes beaucoup à dire, et le Dr Cohen-Solal aurait « souhaité ne pas en finir avec cette histoire » aussi pleine de progrès techniques, de bouleversements sociaux que de souvenirs de vie. Il faut pourtant en arriver à l'épilogue, dans lequel l'auteur « ne peut s'empêcher » de citer deux phrases de chansons chères à son cur de pédiatre : « Parlez-moi de moi, y a qu'ça qui m'intéresse » et « Sans amour, on n'est rien du tout ».
« Cinq sous de glace », Dr Julien Cohen-Solal, Editions Odile Jacob, 262 pages, 19,70 euros (129,22 F).
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