LE POUVOIR n’est pas aidé par les patrons : bien qu’il ne faille pas généraliser, le Medef, depuis quelques années, s’est efforcé de conquérir son indépendance vis-à-vis du gouvernement. La frénésie, d’ailleurs couronnée de succès, avec laquelle les grandes entreprises ont accompli leurs restructurations, en flattant la cupidité des actionnaires au détriment des intérêts des salariés, les formidables pactoles qui ont été versés aux P-DG quand les bénéfices ont atteint des sommets (ou même quand ils étaient médiocres), l’absence totale de scrupules du patron qui licencie à tour de bras parce qu’ainsi le veut la loi du profit inspirent un ressentiment énorme chez les salariés. Lesquels croient déceler une complicité entre le pouvoir politique et le pouvoir patronal pour mieux les mettre en coupe réglée.
Rien à dire sur le chômage.
Ce n’est pas sûr. On se souvient encore de la condescendance apitoyée avec laquelle le baron Seillière traitait naguère Jean-Pierre Raffarin dont la foi libérale lui semblait peu ardente. En ces temps de crise, on n’a pas le sentiment que les grands patrons aient volé au secours du gouvernement en participant à la lutte contre le chômage, ni même qu’ils aient conscience de leurs responsabilités sociales. Ils répètent qu’ils sont les seuls à créer des emplois, sans paraître se douter qu’ils n’en proposent pas assez ou qu’ils ne font pas tout pour préserver ceux qui existent déjà.
Bien entendu, il s’agit là d’une observation générale qui ne rend pas compte des nombreuses exceptions et ne concerne pas, de toute façon, les PME, où la solidarité patron-employé est tout de même plus grande.
Sur l’analyse des marchés, les charges excessives qui l’étouffent, les perspectives de croissance, le patronat est intarissable. Sur les moyens de diminuer le chômage en période de faible croissance, il n’a rien à dire, alors que, encore une fois, la création d’un poste de travail ne dépend que de l’entreprise.
L’obstination du patronat à ne défendre que ses intérêts, sans se resituer dans un plus vaste contexte social, correspond à une vue à court terme : les grands patrons, en général, ne nous feront pas croire qu’ils préfèrent la gauche au pouvoir dès lors que son premier soin sera d’augmenter leurs impôts. Certes, ils se méfient de l’Etat par instinct et par atavisme ; et il leur arrive, effectivement, de juger « collectiviste » la politique d’un gouvernement de droite. Jusqu’à ce qu’ils goûtent à un programme socialiste.
Le plus grave peut-être, c’est que les grandes entreprises sont de moins en moins enracinées dans le terroir national. Elles réalisent une grosse partie de leurs profits à l’étranger, où elles ont investi parfois plus qu’en France ; leur salariés n’en sont que plus anonymes. Les grands patrons français voyagent beaucoup et sont devenus cosmopolites. Les préoccupations éthiques ne les étouffent pas. De sorte qu’ils en viennent à s’accorder des bonus qui font hurler de rage le smicard ou l’exclu.
Mettre l’éthique à l’ordre du jour.
Il est peu probable que les conduites individuelles changent dans un bref avenir. C’est néanmoins la responsabilité du Medef de mettre l’éthique à l’ordre du jour, si Laurence Parisot, sa présidente, était sincère quand elle a déclaré que les primes touchées par le P-DG de Vinci lui donnaient la nausée.
IL FAUT INTRODUIRE L'IDEE QUE NOUS SOMMES DANS LE MEME BATEAUOn ne demande pas aux gens leur avis quand on les met au chômage. On peut donc demander aux patrons d’accorder la priorité à l’emploi et de n’envisager le licenciement que comme un crève-coeur, ce qui est le cas de certains, mais pas de tous.
En gouvernant par oukases, Dominique de Villepin n’a sans doute pas encouragé le patronat à pratiquer le dialogue. Mais chacun sait désormais à quelle impasse l’attitude du Premier ministre l’a conduit. On ne voit pas pourquoi, dans un pays civilisé, les relations entre le patronat et les syndicats ne pourraient pas être meilleures. Une récente réunion entre les délégués du Medef et ceux de la CGT n’a abouti à aucun résultat. C’est regrettable, mais cela signifie qu’il faut poursuivre les discussions et trouver quelques terrains d’entente ; il faut introduire dans nos moeurs le sentiment que nous sommes tous dans le même bateau : aucun patron ne doit se réjouir de procéder à un licenciement ; aucun ouvrier ne doit être amené à croire que son patron est un « ennemi de classe ».
Et, enfin, il y a la manière : la transparence sur les salaires versés aux chefs d’entreprise les a dénudés, ce qui devrait accroître leur pudeur. Aussi bien, puisqu’ils savent que tout se sait, devraient-ils se montrer moins gourmands. Salariés et patrons ne sont pas sur des planètes différentes, et il ne saurait y avoir deux discours, celui de la fermeté pour les économies et celui de la prodigalité pour les démiurges qui versent les petits salaires. Bref, il faudrait que les patrons se prennent un peu moins au sérieux.
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