L'ALLEMAND Paul Hindemith (1895-1963) est un maudit de l'histoire de la musique. Classé par Hitler parmi les artistes anarcho-bolchéviques et, bien que non juif, comme un compositeur de « musique dégénérée », il fut contraint à l'exil dès 1935. Pourtant, bien qu'ayant commencé à composer dans la vogue la plus expressionniste, il se rangea rapidement dans la vague de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité), mouvement néoclassique en musique dont Stravinsky était un des meneurs. Mais Theodor Adorno, cet arbitre si peu objectif des courants musicaux du XXe siècle, le traita de « petit bourgeois » s'adonnant &ahgrave; la « composition sur mesure » alors que Stravinsky, « grand joueur », était le musicien « haute couture » . Tout cela pour préciser qu'aujourd'hui encore le nom d'Hindemith fait peur au public, donc au box office, et qu'il est courageux à Gérard Mortier de l'avoir affiché pour huit représentations dans ce grand théâtre populaire et de répertoire qu'est l'Opéra-Bastille.
André Engel, le metteur en scène, et son décorateur Nicky Rieti, ont été les premiers à comprendre le fonctionnement de l'énorme scène bastillane, si complexe par sa machinerie sophistiquée. Leur « Lady Macbeth de Mzenk » de Chostakovitch de 1992 reste l'une des meilleures productions qui y ont été réalisées. Fallait-il pour autant, s'agissant d'une œuvre rare dont c'est certes la création à l'Opéra de Paris, mais dont on imagine difficilement qu'elle remplira des salles pendant plusieurs saisons comme « Bohème », « Tosca » ou d'autres opéras du répertoire, envisager les choses si somptueusement ? Car les décors de Rieti sont magnifiques, véritables pièces pour un musée de l'histoire de l'Art déco, l'intrigue ayant été transposée de l'époque Louis XV aux années trente, et la technologie de Bastille permet des changements spectaculaires le temps d'un baisser et lever de rideau. Cela permet de donner l'œuvre qui ne dure que quatre-vingt-dix minutes en continu, sans entracte, comme un film. Somptueux, donc coûteux .Reviendrait-on au temps des splendeurs liebermaniennes ? Il semble cependant que les budgets ne soient plus les mêmes et que cet excès dans la dépense risque de se répercuter sur d'autres productions...
La poésie en plus.
« Cardillac », donc, raconte l'histoire d'un joaillier qui, amoureux de ses créations, n'hésite pas à assassiner ses clients pour les récupérer. Un service après-vente spécial qui donne lieu à une intrigue universelle justifiant la transposition du Grand Siècle à celui d'Arsène Lupin. Ponnelle, à Munich en 1985, avait joué le jeu du XVIIe siècle stylisé avec infiniment de mystère et de fantastique. Neugebauer, à Cologne et à Berlin dans les années soixante-dix, avait joué celui d'un expressionnisme de cinéma muet pas vraiment convaincant. La mise en scène d'Engel est parfaite et souligne, chaque fois que possible, la poésie qui passe dans cette musique comme lors d'un duo d'amour qui est remplacé sur scène par une pantomime (Nouvelle Objectivité oblige) et dans la fosse par un duo de flûte. Engel y ajoute deux papillons qui viennent folâtrer autour des amants.
La musique est aussi bien conçue qu'un bijou de Cardillac : omniprésence des vents, économie des cordes, clarté et lisibilité limpide et recours aux formes classiques. Kent Nagano se met au service de cette transparence et dirige l'œuvre avec une très grande finesse. De l'excellente distribution, on retiendra les belles performances, dans La Fille de Cardillac, d'Angela Denoke, spécialiste de ce répertoire, avec sa grande voix claire jamais forcée, et du ténor Christophe Ventris dans l'Officier. Seule ombre au tableau, le chœur que l'on a dû au moins doubler pour remplir le dispositif, d'habitude si bon, est ici un peu envahissant en décibels.
Opéra de Paris : 0.892.89.90.90 et www.operadeparis.fr les 8, 11, 14, 17 et 20 octobre à 20 h. Introduction à l'œuvre par Gérard Mortier avant tous les spectacles à 19 h 30 au foyer Bastille (11 octobre à 19 h).
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