COMME POUR Wozzeck, le dramaturge allemand Büchner a campé la folie de Lenz dans une nouvelle inachevée en 1835. Jakob Lenz (1751-1792) poète génial du mouvement Sturm und Drang, contemporain de Goethe dont il a été le rival en amour, a tenté d’endiguer sa folie en se réfugiant dans l’air pur des montagnes vosgiennes auprès d’un pasteur qui avait la réputation de guérir les âmes en perdition ; il est mort dans la plus grande misère à Moscou.
Le délabrement schizophrénique du poète est l’objet de « Jakob Lenz », deuxième opéra de chambre du prolixe compositeur allemand Wolfgang Rihm (né en 1952), qui compte plus de 250 oeuvres à son catalogue. Ce literaturoper, opéra littéraire, assez souvent joué dans les théâtres lyriques et festivals allemands, est une rareté en France ; l’opéra de Lyon l’a monté en 1997 et Nancy et Caen en ont coproduit une mise en scène pour le cinquantième anniversaire du compositeur en 2002. Les spectateurs parisiens ont donc saisi l’aubaine de son passage dans la série des spectacles frontières à l’amphithéâtre de l’Opéra-Bastille, qu’ils ont rempli lors des trois représentations, et lui ont réservé un franc succès.
Créée au Centro de experimentación del Teatro Colón de Buenos Aires en 2004, cette production minimaliste, sans autre décor que l’orchestre déployé par groupe d’instruments sur la scène, réalisée dans les plus grandes clarté et simplicité par Caroline Petrick, aidée en cela des éclairages d’Alejandro Le Roux, a été donnée en langue allemande.
Une grande réussite.
Composé par le jeune Rihm en 1976/1977, l’opéra, avec ses trois personnages, son choeur de six chanteurs et ses onze instrumentistes, est une des plus grandes réussites du genre du XXe siècle. Ni chez les romantiques, pourtant friands de scènes de folie, ni plus tard, on n’est allé aussi loin dans la description musicale de la descente aux enfers, avec ses hallucinations et ses terreurs, qu’est le délabrement schizophrénique d’un homme. La confrontation avec l’utopique pasteur Oberlin donne lieu à des scènes d’une violence inouïe. L’unité musicale de l’oeuvre se fait autour de cette faillite psychique avec un langage musical faisant appel à des formes classiques comme la cantilène, les ländler, le choral mais aussi le sprechgesang expressionniste.
Étiqueté par les plus sérieux dictionnaires comme un des compositeurs du mouvement de la Nouvelle Simplicité (Die Neue Einfachheit) qui ont marqué la fin de l’école de Darmstadt, Wolfgang Rihm, dans « Jakob Lenz » trouve effectivement ses effets théâtraux dans des moyens réduits et efficaces, un orchestre de chambre équilibré, enrichi d’un clavecin et de percussions à la variété originale. L’Ensemble Beethoven Academie a parfaitement rendu ces climats inquiétants, complexes, évoquant les glissements vers la folie. Et les trois interprètes ont tenu à bout de bras, avec une forte vérité dramatique, cette oeuvre au lyrisme intense. Hans König a incarné avec une grande variété d’expression la souffrance psychique du personnage éponyme. Magnifiques aussi Marek Gastecki dans le rôle du pasteur Oberlin et Lorenzo Caròla en Kaufmann, l’ami sarcastique. Le chef argentin Alejo Perez a ciselé avec finesse et révélé les couleurs de cette partition riche et complexe. Un magnifique spectacle que l’on ne reverra pas de sitôt.
Amphithéâtre de l’Opéra de Paris–Bastille , tél. 0892.89.90.90 et www.operadeparis.fr. Prochain spectacle frontière : « Fama », de Beat Furrer, création française, les 1er et 3 juin aux ateliers Berthier.
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