C'EST UN DES PARADOXES de la situation sanitaire mondiale. Avec 3 000 décès d'enfants chaque jour, soit un enfant toutes les trente secondes, le paludisme reste la cause la plus importante de décès des enfants de moins de 5 ans en Afrique. Les chiffres globaux sont également significatifs : près de la moitié de la population mondiale vit dans des zones à risque de transmission active et chaque année, de 350 à 500 millions de personnes sont touchées, avec 1 million de morts, la plupart sur le continent africain (90 %). Pourtant, le paludisme figure parmi les maladies négligées du fait de l'absence de traitements efficaces, adaptés et abordables. La situation se révèle d'autant plus dramatique que la résistance de Plasmodium falciparum à la chloroquine apparue dans les années 1960 en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud s'est progressivement étendue à l'Afrique. Dans la plupart des pays africains, le Plasmodium est aujourd'hui résistant aux deux antipaludéens classiques et la résistance à la chloroquine atteint 90 % dans de nombreuses régions. Après seulement cinq ans d'utilisation, une résistance au sulfadoxine-pyriméthamine, l'alternative thérapeutique à la chloroquine introduite dans les années 1970, s'est aussi développée et progresse rapidement en Afrique.
Nouvelles associations.
Face à la résurgence de la morbidité et de la mortalité du paludisme – le taux de mortalité infantile a doublé entre 1990 et 2002 –, l'agence américaine Usaid (US Agency for International Development) et le Wellcome Trust alertent l'OMS via son programme de recherche sur les maladies tropicales (The Unicef-Undp-World Bank Who's Special Programm for Research and Training in Tropical Diseases/ TDR). Il s'agit alors d'identifier des associations de médicaments antipaludiques qui, à l'instar de ce qui s'est fait pour la tuberculose ou le VIH, permettraient de lutter contre le phénomène de pharmacorésistance et de prolonger la durée de vie des médicaments disponibles. En 2002, l'OMS recommande l'abandon des monothérapies et le recours à des associations médicamenteuses contenant des dérivés d'artémisinine. Ces nouveaux antipaludéens sont extraits d'une plante, Artemisia annua (armoise annuelle ou qinghaosu), cultivée et utilisée contre les fièvres depuis au moins plus de deux mille ans en Chine et redécouverte lors de la révolution chinoise. Son principe actif, l'artémisinine, est mis en évidence en 1972. Ses dérivés, artésunate et artéméther, ont une action thérapeutique très rapide (baisse de la numération parasitaire, résolution des symptômes), sont efficaces contre le P.falciparum multirésistant, sont bien tolérés et freinent la transmission de la maladie. Utilisés seuls, ils agissent au bout de sept jours, un délai réduit à trois jours avec des taux élevés de guérison lorsqu'ils sont combinés à d'autres antipaludiques.
Un laboratoire virtuel.
L'OMS encourage les pays à adopter des politiques thérapeutiques fondées sur la nouvelle stratégie ACT (Artemisinin-based Combination Therapy), en dépit d'un coût plus élevé que les traitements standards – le traitement par chloroquine coûte 10 centimes de dollar par jour. La première association inscrite sur la liste de préqualification de l'OMS a été le Coartem (Laboratoire Novartis), une association à doses fixes artéméther-luméfrantine.
En 2003, Médecins sans Frontières, qui utilise des ACT dans tous ses programmes, lance sa campagne ACT now «Il est temps de passer aux ACT» pour le financement des traitements. Le paludisme fait partie des priorités de la fondation créée à l'initiative de l'association et présidée par le Dr Bernard Pécoul, le Dndi (Drugs for Neglected Diseases Initiative, Initiative pour des médicaments en faveur des maladies négligées). Fondé en partenariat avec quatre instituts du secteur public du Brésil (fondation Oswaldo Cruz-Farmanguinhos), d'Inde (Indian Council for Medical Research), du Kenya (Kenya Medical Research Institute), de Malaisie (ministère de la Santé), auxquels s'est associé l'Institut Pasteur, le Dndi entend agir comme un laboratoire virtuel de recherche et développement, et s'appuie sur un réseau de scientifiques avec comme objectif «de favoriser les collaborations Sud-Sud et Nord-Sud, de renforcer par des transferts de technologies les capacités existantes dans les pays endémiques».
Parmi les projets qu'il développe, le projet Fact (Fixed-dosed Artesunate Combination Therapy), soutenu par le programme OMS-TDR. La nouvelle association, dont la mise à disposition sous le nom d'Asaq (artésunate-amodiaquine Winthrop) pour les marchés publics – Coarsucam pour les marchés privés – a été annoncée hier, en est l'aboutissement. Asaq, également acronyme de Adaptée, Simple, Accessible et de Qualité, est le premier médicament produit par le laboratoire virtuel créé en 2002. Sa mise au point a bénéficié de différentes collaborations, notamment des universités d'Oxford, de Mahidol, aux Etats-Unis, et de Bordeaux-II. Le laboratoire de biotechnologie bordelais, Ellipse Pharma, a en particulier conçu une formulation innovante en « bicouches » qui a permis de séparer les deux principes actifs et de garantir la stabilité chimique du médicament même en conditions tropicales. Son procédé de fabrication également innovant a permis de réduire la taille et le nombre de comprimés. Sous licence Dndi depuis 2004, ces innovations ont été utilisées par le Laboratoire sanofi-aventis, qui a assuré le développement industriel du produit.
Le résultat est donc un produit innovant associant à doses fixes deux médicaments connus, l'artésunate (AS) et l'amodiaquine (AQ), à l'efficacité et à la tolérance bien documentées, une des trois combinaisons à base d'artésunate recommandées par l'OMS pour traiter le paludisme non compliqué à Plasmodium falciparum en Afrique. Une nouvelle méthodologie reposant sur des données démographiques provenant de plus de 88 000 enfants et adultes d'Afrique subsaharienne (étude de Taylor et coll. pour l'OMS-TDR) a permis de définir des dosages adaptés de manière optimale aux différents âges, en particulier pour les enfants.
Quatre dosages sont disponibles : pour les nourrissons (2-11 mois ou 4,5-8 kg) ; petits enfants (1-5 ans ou 9-17 kg), adolescents (6-13 ans ou 18-35 kg) et adultes (≥ 14 ans ou > 36 kg). Des comprimés de tailles différentes (8, 10 et 13 mm) avec des codes couleur selon les dosages et qui peuvent être facilement écrasés ou mélangés à des aliments liquides ou semi-liquides, tout cela rend l'utilisation et la prescription plus aisées. La posologie est de 1 comprimé par jour pendant trois jours pour le nourrisson, l'enfant et l'adolescent, et de 2 comprimés par jour en une prise pendant trois jours chez l'adulte.
Moins de 0,50 dollar.
Facilité de stockage (grâce à un conditionnement particulier en blister de 3 ou 6 comprimés, soit un traitement complet) et une politique de prix abordable : moins de 0,50 dollar pour le traitement complet d'un enfant de moins de 5 ans et moins de 1 dollar pour les plus grands et les adultes.
Pour une utilisation prioritaire en Afrique subsaharienne, la nouvelle combinaison est produite au Maroc sur le site de sanofi-aventis, selon les normes de fabrication internationales et dans le respect des standards de qualité. Un dossier d'AMM a été déposé au Maroc et a reçu l'accord des autorités marocaines le 1er février dernier. Un dossier a également été soumis à l'OMS dans le cadre de sa procédure de préqualification qui garantit aux agences des Nations unies la qualité des médicaments sélectionnés.
La nouvelle association sera disponible pour tous les pays qui en font la demande au fur et à mesure de l'obtention des autorisations de mise sur le marché locales. Vingt pays d'Afrique subsaharienne, parmi les quarante et un qui ont adopté les ACT, ont choisi l'association artésunate-amodiaquine en traitement de première ligne. Ceux-là seront prioritaires. Enfin, aucune protection par brevet ne protège le médicament, selon le souhait de Dndi et de sanofi-aventis «d'assurer une large distribution aux patients qui en ont le plus besoin».
Mais fournir des médicaments ne suffit pas. Aussi le laboratoire et la fondation vont-ils veiller à l'accès équitable et à l'utilisation correcte au niveau des systèmes de santé, à l'éducation et à la sensibilisation des professionnels de santé et des malades et à la mise en place d'un système de pharmacovigilance.
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