CETTE AVANCEE est le fruit d'une recherche menée au sein de Johnson & Johnson Pharmaceutical Research and Development (J & JPRD en Belgique et en France), en collaboration avec des chercheurs de la Pitié-Salpêtrière (Paris) et de l'institut suédois de contrôle des maladies infectieuses.
« Des études d'innocuité de phase I chez des volontaires sains ont été réalisées », précise au « Quotidien » le Dr Koen Andries (J & JPRD LLC à Beerse, Belgique), le premier signataire des travaux publiés dans la revue « Science ». « La prochaine étape sera d'introduire ce composé en phase IIa du développement clinique chez des individus souffrant d'une tuberculose pulmonaire active non encore traitée. Cette petite étude de "preuve de principe" devrait bientôt commencer. »
Tuberculose et sida : l'association meurtrière.
L'épidémie de tuberculose, alimentée par l'épidémie du sida, représente, selon les termes de l'OMS, « une crise sanitaire globale ». Quelques chiffres permettent d'en mesurer l'ampleur. Un tiers de la population mondiale est infecté de façon latente ; 10 % de ces sujets infectés (non infectés par le VIH) développeront une tuberculose active au cours de leur existence ; ce risque est bien plus élevé chez les sujets coïnfectés par le VIH (10 % par an) ; la tuberculose a causé 2 millions de décès en 2002, se plaçant juste après le sida, en tête des causes de mortalité par maladie infectieuse. Plus de 11 millions d'adultes sont doublement infectés par le VIH et la tuberculose, qui accélèrent mutuellement leur progression et forment une association meurtrière ; enfin, l'émergence de souches multirésistantes devient un problème préoccupant : plus de 300 000 nouveaux cas de tuberculose polypharmacorésistante sont détectés chaque année.
Comme le souligne Katrina Kelner, rédactrice à la revue « Science », « le monde a désespérément besoin d'un nouveau médicament antituberculeux capable de combattre les souches résistantes et plus facile à prendre pour les patients. Cela pourrait être le cas de ce nouvel antibiotique ».
La famille des diarylquinolines.
Le nouvel agent appartient à une famille de composés appelés « diarylquinolines » ou « Darq » récemment brevetés par Johnson & Johnson. L'équipe belge a identifié cette famille en dépistant parmi un grand nombre de molécules de sa banque chimique celles qui auraient une activité antimycobactérienne testée sur Mycobacterium smegmatis, une espèce voisine de M. tuberculosis utilisée en raison de son caractère non pathogène.
Le plus prometteur de la famille des Darq est un composé appelé R207910, synthétisé par un chimiste français, Jérôme Guillemont (J&JPRD, Val-de-Reuil).
Testé in vitro, R207910 inhibe puissamment les souches de M. tuberculosis, y compris celles résistantes aux antibiotiques, et présente une activité spécifiquement dirigée contre un large spectre de mycobactéries.
Son mécanisme d'action diffère entièrement de celui des antibiotiques connus. Il inhibe une enzyme procurant l'énergie à la mycobactérie, la synthase d'ATP. Jusqu'à présent, les quatre principales classes d'antibiotiques antituberculeux connus inhibaient la synthèse de la paroi bactérienne, des protéines, du folate ou la réplication des acides nucléiques.
« Notre composé est très différent en ce sens qu'il est à ma connaissance le premier antibiotique agissant contre les bactéries par inhibition de l'apport d'énergie. Le nom de Darq (proche de dark, qui veut dire sombre en anglais) a été donné avant que nous ayons identifié ce mécanisme, mais on peut comparer l'action de l'antibiotique à un arrêt de l'apport en énergie à la bactérie, à une extinction de la lumière si l'on veut », fait remarquer le Dr Andries.
Dans un modèle de tuberculose chez la souris, R207910 en monothérapie possède une puissante activité bactéricide, dépassant celle de la rifampicine, et une seule dose inhibe la croissance mycobactérienne pendant une semaine.
Une puissante activité bactéricide.
Lorsqu'il est inclus dans un cocktail d'antibiotiques, en substitution de l'un des trois antituberculeux majeurs, le traitement réduit la charge bactérienne pulmonaire après un mois dans les mêmes proportions qu'après deux mois de traitement classique. Cela suggère que le temps de traitement pourrait être réduit de moitié. Et, après deux mois du traitement incluant le nouvel agent, le bacille tuberculeux n'est plus décelable dans les poumons. Un résultat sans précédent, selon l'équipe de la Pitié-Salpêtrière (Emmanuelle Cambau, Chantal Truffot-Pernot, Nacer Lounis et Vincent Jarnier) qui a conduit les travaux chez l'animal (avec l'aide de bourses de l'association française Raoul-Follereau, de l'Inserm et du ministère de l'Education nationale et de la Recherche).
L'étude de phase I, également rapportée dans « Science », montre que des taux plasmatiques même sept fois plus élevés que les taux efficaces chez la souris sont bien tolérés chez des volontaires sains (n = 81 recevant soit le produit, soit le placebo). Des études de phase II destinées à mesurer l'efficacité du produit chez les patients sont en cours.
« Si l'usage de ce médicament est finalement approuvé chez l'homme, il pourrait s'ensuivre un changement dans le paradigme du traitement de la tuberculose », annonce le Dr Andries. « Une combinaison incluant le R207910 mais excluant la rifampicine se montre particulièrement prometteuse, et pourrait être compatible avec les médicaments anti-VIH chez les patients coïnfectés par le VIH et la tuberculose. »
Sciencexpress.org, 9 décembre 2004.
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