PAR LES Drs THIERRY LAMIREAU et HAUDE CLOUZEAU*
Nous ingérons habituellement de 10 à 15 g de gluten par jour. Les séquences toxiques de la gliadine cumulent les propriétés d'être des substrats de la transglutaminase tissulaire par leur richesse en glutamine et d'être relativement résistantes aux capacités enzymatiques digestives par leur richesse en proline. Ces fragments parviennent ainsi intacts au contact de la muqueuse intestinale et peuvent déclencher, chez les sujets prédisposés génétiquement, un conflit immunologique responsable de la malabsorption digestive et éventuellement de phénomènes dysimmunitaires généraux. Plus de 90 % des malades sont HLA DQ2, les 5 à 10 % restants étant DQ8. Cette prédisposition est toutefois fréquente, concernant de 30 à 40 % de la population, suggérant l'intervention d'autres facteurs déclenchants comme les infections intestinales virales (adénovirus, rotavirus), le type d'allaitement, l'âge de l'introduction et la dose de gluten ingérée… L'allaitement maternel est considéré comme protecteur, tandis que l'introduction du gluten avant 3 et après 6 mois est associée à une plus grande fréquence de la maladie coeliaque. Il est donc actuellement conseillé d'introduire le gluten en faibles doses entre 4 et 6 mois pendant un allaitement maternel.
Une incidence globale en hausse.
Classiquement, la maladie coeliaque se manifeste chez un nourrisson de plus de 6 mois par une diarrhée chronique avec météorisme abdominal, anorexie, apathie, cassure de la courbe pondérale et signes de dénutrition. Les deux dernières décennies ont révélé l'existence de formes atypiques ou frustes, paucisymptomatiques, qui sont plus fréquentes que la forme classique.
Ainsi, l'incidence de 1/2 500 à 3 000 pour les formes symptomatiques passe à 1/200 lorsque le critère est la positivité d'anticorps spécifiques dans la population générale. L'incidence globale serait par ailleurs en augmentation, avec des formes silencieuses, ou atypiques plus fréquentes. On retrouve ici le modèle de l'iceberg, avec les formes symptomatiques qui émergent. Sous ce niveau se trouvent les formes silencieuses avec présence d'anticorps et d'atrophie villositaire, les formes latentes, avec présence d'anticorps, mais sans lésions histologiques, puis, enfin, la masse de la population des sujets ayant une simple prédisposition, mais non atteints. Un dépistage des formes latentes n'est pas recommandé dans la population générale car l'utilité d'un régime sans gluten est incertain dans cette situation. La tendance actuelle suggère de mieux faire le diagnostic devant des formes peu symptomatiques ou de dépister les formes silencieuses dans la famille proche d'un cas index ou dans certaines pathologies associées (diabète, trisomie 21, syndrome de Turner…).
Les étapes du diagnostic.
Les marqueurs sérologiques constituent actuellement la première étape du diagnostic de maladie coeliaque. Les anticorps antigliadine, de type IgA et IgG, ont été les premiers mis en évidence dans la maladie coeliaque et sont largement utilisés actuellement, mais leur fiabilité est moyenne, en particulier les IgG antigliadine qui sont peu spécifiques. La recherche d'IgA anti-endomysium a une excellente sensibilité et spécificité, mais nécessite des techniques plus coûteuses et dépendant de l'observateur. Plus récemment a été mise au point la recherche des anticorps antitransglutaminase tissulaire dont la facilité, la fiabilité et le coût modéré justifient que leur recherche seule soit proposée comme première étape du diagnostic de la maladie coeliaque. Le test peut néanmoins être pris en défaut en cas de déficit en IgA, présent chez environ 2 % des sujets coeliaques. Il est alors recommandé de rechercher les IgG antitransglutaminase.
Le diagnostic de certitude repose toujours sur la biopsie intestinale qui doit être réalisée avant tout mise au régime sans gluten. Celle-ci montre une atrophie villositaire totale ou subtotale, associée à une hyperplasie des cryptes et une augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux (supérieure à 40 %). Le diagnostic histologique peut être difficile en cas de régime sans gluten commencé de façon intempestive, estompant les lésions caractéristiques.
La disparition des signes cliniques, la négativation des anticorps (après 6 mois) après mise au régime sans gluten viendront confirmer le diagnostic de maladie coeliaque. Une épreuve de rechute, avec remise au régime normal, doit être proposée entre l'âge de 6 ans et le début de la puberté en cas de doute initial, notamment si l'enfant a été mis au régime sans gluten sans avoir réalisé de biopsie initiale ou si celle-ci n'est pas suffisamment caractéristique.
Le régime sans gluten.
Le traitement reste le régime sans gluten strict, et de plus en plus d'arguments plaident pour un régime à vie. Un régime bien conduit entraîne la négativation des anticorps en un an. Dans de très rares cas, la reprise d'un régime normal à l'adolescence ne donne lieu à aucune manifestation clinique ou biologique, mais la rechute peut survenir de façon retardée. Dans les autres cas, la reprise d'une alimentation contenant du gluten est suivie de rechutes biologiques, s'accompagnent de déminéralisation osseuse et exposent à des pathologies associées. Néanmoins, une attention particulière doit être apportée à la qualité de vie et au soutien psychologique de ces enfants, en raison des contraintes liées au régime.
Dans un avenir proche, la disponibilité des marqueurs sérologiques à l'aide de tests diagnostiques rapides permettra de dépister plus facilement la maladie coeliaque. Leur fiabilité autorisera certainement de se passer de la biopsie intestinale dans les formes typiques, notamment en cas de taux élevés d'anticorps antitransglutaminase. L'histologie intestinale restera en revanche un élément diagnostique incontournable pour les formes à symptomatologie atypique ou associées à un déficit en IgA et les cas douteux. La haute valeur prédictive négative des gènes de susceptibilité HLA DQ2/DQ8 pourrait être utile pour écarter le risque d'une maladie coeliaque chez les sujets mis d'emblée sous régime sans gluten, dans les cas douteux ou dans une population à risque (famille de sujets coeliaques).
Une des voies thérapeutiques d'avenir serait de traiter les farines par digestion enzymatique des sites toxiques de la gliadine, soit de façon extemporanée, soit par ingestion d'enzymes conjointement aux céréales. D'autres pistes paraissent plus lointaines et hasardeuses comme l'inactivation de la TG-2, l'apoptose de lymphocytes spécifiques, la vaccinothérapie, la synthèse de gluten de blé atoxique par du maïs modifié…
* Unité de gastro-entérologie pédiatrique, hôpital des Enfants, Bordeaux.– Cerf-Bensussan N, Schmitz J. La maladie coeliaque cinquante ans après : certitudes et espoirs. Arch Pediatr 2003 ;10 (suppl. 1) : 56s-60s.
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