Les résultats d'une seule étude conduisent parfois à changer les pratiques. En témoigne la présentation de l'essai CHAARTED (chemohormonal therapy versus androgen ablation randomized trial for extensive disease in prostate cancer) lors de l’ASCO 2014 (American Society of Clinical Oncology).
Pour autant, des données même très positives n’épuisent pas les controverses. Les Dr Yann-Alexandre Vano (oncologue médical, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris) et le Pr Marc-Olivier Timsit (urologue, Hôpital Georges-Pompidou, Paris) se sont ainsi livré à une passionnante joute verbale autour de l’intérêt ou non d’associer une chimiothérapie à une castration chez des patients jeunes porteurs d’un cancer métastasé dès le diagnostic et hormononaïfs.
Jusqu’en juin 2014, quelle était la stratégie thérapeutique appliquée dans ce groupe de patients ? Une hormonothérapie était d’abord prescrite, suivie dans un second temps par une chimiothérapie en cas d’échappement thérapeutique. Cette pratique est désormais remise en cause par les conclusions de l’essai CHAARTED, un essai de phase III randomisé présenté en juin dernier.
Survie globale améliorée de 13,6 mois
Principal résultat, l’association d'emblée entre une hormonothérapie et une chimiothérapie par docetaxel améliore la survie globale de 13,6 mois. En effet dans le bras chimiothérapie associé à l’hormonothérapie, la survie globale s’élève à 57,6 mois versus 43 mois dans le bras hormonothérapie seule. « Un gain aussi important est très rare », a rapporté le Dr Yann- Alexandre Vano. En règle générale, le taux de survie observé avec les nouvelles thérapeutiques ne dépasse pas quatre mois. Le docetaxel est la pierre angulaire dans la prise en charge du cancer de la prostate métastasé. Les nouvelles molécules récemment approuvées se positionnent en effet soit avant le docetaxel, soit après mais ne tentent pas de se substituer à ce traitement de référence.
Pourquoi alors, face à ces résultats, le Dr Marc Olivier Timsit affiche-t-il une plus grande prudence ? Simplement parce que les conclusions d’une seule étude doivent être interprétées avec circonspection. Toutes les études associant docetaxel et un autre produit se sont soldées par un échec. De plus, dans d’autres cancers comme celui du sein, la combinaison d’une hormonothérapie cytostatique avec une chimiothérapie active sur le cycle cellulaire est moins efficace qu’une prescription séquentielle.
Surtout ils sont en contradiction avec les résultats d’une étude précédente. L’essai français GETUD-AFU 15 n’avait pas montré en effet de bénéfice pour le patient à associer d’emblée hormonothérapie et chimiothérapie. Comment alors expliquer ces différences ? L’essai conduit par le National Institute of Health a inclus un plus grand nombre de patients (790) entre 2006 et 2012, soit le double de celui prévu dans le protocole de l’essai français. Surtout, la maladie était diagnostiquée à un stade plus avancé. L'analyse fine révèle que les patients à fort envahissement métastatique grâce au traitement combiné bénéficient d’une survie plus importante que les patients où l’extension métastatique est limitée. Autre enseignement, le doctaxel serait plus efficace lorsqu’il est administré précocement.
La tolérance est-elle le prix à payer pour obtenir un tel gain thérapeutique ? Pas si sûr. Les effets secondaires ont été limités avec seulement 13 % de neutropénies de grade 3 et 6 % de neutropénie fébriles. Enfin, un seul décès a été recensé dans le groupe chimiothérapie et castration.
Certes, tous les malades porteurs d’un cancer de la prostate ne sont pas concernés par cette avancée. Le plus souvent le cancer au moment du diagnostic est localisé. Les diagnostics de cancer de la prostate d’emblée métastasé chez un sujet jeune avec un fort volume tumoral sont peu nombreux, moins de 5 % des cas aux États-Unis, entre 5 % et 30 % en Europe. À ce jour, un haut volume tumoral est défini par le diagnostic de métastase viscérale et /ou la reconnaissance de quatre lésions osseuses dont une au moins est non-axiale (rachis/pelvis).
D’autres données à court ou moyen terme sont attendues. Elles devraient alors confirmer les résultats de l’essai CHAARTED comme l’essai STAMPEDE. En attendant ces publications, lors des réunions de concertation pluridisciplinaire, seuls les patients porteurs d’un cancer de la prostate avec un haut volume métastatique devraient se voir proposer un traitement associant d’emblée docetaxel et hormonothérapie. Pour les autres patients, les données ne sont pas encore concluantes. À suivre donc.
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