De notre correspondante
à New York
LA DEPENDANCE tabagique est due à la nicotine contenue dans les feuilles de tabac. Quelques secondes après l'inhalation de la fumée de cigarette, la nicotine diffuse dans le cerveau et agit sur les récepteurs nicotiniques (nAChR) des neurones. Ces récepteurs postsynaptiques sont normalement activés par l'acétylcholine, qui, immédiatement après, est dégradée dans la synapse. Mais la nicotine, qui mime l'acétylcholine, n'est pas dégradée.
Comme l'explique le Dr Henry Lester, professeur de biologie à l'institut californien de technologie à Pasadena, qui a dirigé ce travail, « la nicotine persiste dans la synapse pendant quelques minutes plutôt que quelques millisecondes, elle stimule une décharge prolongée des neurones postsynaptiques, ce qui libère de grandes quantités de dopamine (messager chimique de la sensation de plaisir) . La majorité des scientifiques pensent que c'est une des raisons majeures pour lesquelles la nicotine crée une telle dépendance ».
Toutefois, le mécanisme conduisant à la dépendance reste mal compris. En premier lieu, on ignore exactement quels sous-types de récepteurs nicotiniques la déclenchent.
Les récepteurs nicotiniques sont des canaux à ions, formés de la réunion de 5 sous-unités. Or 12 sous-unités ont été identifiées (d'alpha 2 à alpha 10, et de bêta 2 à bêta 4) qui se combinent pour créer divers sous-types de récepteurs, dotés de propriétés fonctionnelles et pharmacologiques distinctes.
Effets gratifiants de la nicotine.
De précédents travaux ont montré que la souris knock-out (K.-O.) déficiente en sous-unité bêta 2 du récepteur est moins sensible à la dépendance à la nicotine. Tout récemment, il a été montré que l'inhibition, par un antagoniste, des récepteurs alpha 2/bêta 2 atténue également les effets gratifiants de la nicotine.
Dans leur nouveau travail, publié dans la revue « Science », Tapper, Lester et coll. ont étudié la sous-unité alpha 4, par une approche complémentaire de la stratégie utilisée chez la souris K.-O.. Mais à la place de ce rongeur muté, ils ont mis au point une autre souris « knock-in hypersensible », en introduisant une mutation dans la sous-unité alpha 4 qui confère une plus grande affinité pour la nicotine.
Tandis que les animaux K.-O. fournissent des informations sur le besoin, les rongeurs knock-in hypersensibles informent sur la suffisance.
Comme prévu, les souris knock-in se révèlent bien plus sensibles à la nicotine, même à de très faibles doses, n'activant pas d'autres récepteurs. L'activation sélective des récepteurs nicotiniques alpha 4, par de faibles doses d'agonistes, cumule les effets de la nicotine supposés importants dans la dépendance : renforcement en réponse à l'administration aiguë de nicotine ; tolérance et sensibilisation induites par l'administration chronique de nicotine.
« Ces données indiquent que l'activation des récepteurs alpha 4 est suffisante pour la récompense, la tolérance et la sensibilisation induites par la nicotine », concluent les chercheurs.
Réduire la libération de dopamine.
Ce travail fait de la sous-unité alpha 4 un excellent candidat à étudier au niveau moléculaire et cellulaire, selon le Dr Lester. « Elle pourrait offrir une cible potentielle pour un médicament qui réduirait la libération de dopamine causée par la nicotine et, avec un peu de chance, la dépendance. » L'équipe étudie, grâce à ces souris hypersensibles, le signal de la sous-unité alpha 4 du récepteur. En effet, la souris knock-in a l'avantage d'isoler et d'amplifier la chaîne des signaux moléculaires qui survient dans le neurone après l'activation des récepteurs par la nicotine. L'espoir est qu'un de ces signaux fournisse une cible moléculaire qui pourrait être inhibée de façon spécifique et offrir un traitement contre la dépendance.
« C'est une voie compliquée qui doit encore être décomposée en étapes individuelles avant que nous puissions pleinement la comprendre, observe le Dr Lester. Mais je pense que la dépendance à la nicotine sera parmi les premières accoutumances à être élucidées, car nous disposons déjà d'énormément d'outils pour l'étudier. »
Cette étude soulève également des questions sur la génétique de la dépendance. Des polymorphismes dans les gènes des récepteurs nicotiniques neuronaux sont-ils associés à la dépendance tabagique ? De futures études sont nécessaires pour répondre à cette question.
« Science », 5 novembre 2004, p. 1029.
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