IL NE FAUT PAS S'Y TROMPER : on trouvera, dans le monde musulman, des millions de personnes, abreuvées d'antisémitisme par la propagande de leurs gouvernements, qui verront, dans les propos de M. Ahamadinejad, une logique imbattable. L'idée selon laquelle le monde arabo-musulman n'a pas à pâtir des conséquences de la Shoah est largement répandue ; et on a pensé à divers endroits pour créer un « foyer juif », depuis le Birobidjan de Staline jusqu'à l'Ouganda. Artificiels, ces projets ont échoué ou n'ont jamais vu le jour. M. Ahmadinejad, dont on imagine qu'il n'est pas totalement inculte, doit savoir qu'avant l'islam, il y a eu le judaïsme et le christianisme et qu'avant la Palestine, il y a eu un royaume d'Israël où les Juifs, un jour, ont décidé de rentrer.
Même pas original.
Bien entendu, il n'est pas nécessaire d'entrer dans un débat historique, moral ou politique avec le président iranien. Il n'a même pas une pensée originale puisqu'il tire ses arguments du révisionnisme et de l'antisémitisme les plus désespérément classiques. Il sait seulement que ce qui sort de sa bouche a un autre sens. Ce n'est pas un hasard si, en même temps qu'il insulte Israël, exercice qu'il partage avec des millions d'imbéciles, il s'en prend à l'Allemagne et à l'Autriche : il ne cherche pas seulement à satisfaire les intégristes, il défie l'Europe. Pourquoi ? Parce que les Européens s'efforcent de négocier avec lui un moratoire sur la mise au point par l'Iran de la bombe atomique. Ses propos sont de nature à montrer la distance qui le sépare de ses interlocuteurs. Là où se déploie la subtile diplomatie (et son hypocrisie, l'Iran affirmant officiellement qu'il construit une centrale pacifique, l'Europe feignant de le croire), il introduit sa brutalité et son cynisme. Et beaucoup d'arrogance, car l'Iran a disséminé et enterré ses installations nucléaires et il serait très difficile de les bombarder.
LES ETATS-UNIS S'EN PRENDRAIENT À L'IRAN S'ILS N'EN ATTENDAIENT UNE AIDE POUR L'IRAK
Contradictions régionales.
M. Ahmadinejad, qui a été élu cette année, aurait tenu un discours plus tempéré il y a deux ans. Les Iraniens n'ont pas vu les forces américaines arriver en Irak sans frémir. Aujourd'hui encore, les Etats-Unis sont postés sur deux frontières iraniennes, en Irak et en Afghanistan et, théoriquement, tiennent l'Iran en tenaille. Mais il ne faut pas être un spécialiste des affaires américaines pour savoir que George Bush est très affaibli, qu'il est question à Washington d'un redéploiement des soldats américains d'Irak, et que l'opinion des Etats-Unis accueillerait avec consternation le projet d'attaquer l'Iran.
Bien que ce pays fasse partie de « l'axe du Mal » tel que M. Bush le décrit, il représente un interlocuteur de l'Amérique pour les affaires irakiennes. La guerre du Golfe avait d'ailleurs conduit les forces américaines à protéger les chiites contre Saddam Hussein, ce à quoi l'Iran chiite ne pouvait rester complètement insensible. Aujourd'hui encore, l'insurrection en Irak est conduite par des saddamistes et des sunnites qui combattent plus les chiites que les Américains. Mais au moins les Etats-Unis ont-ils avec les chiites irakiens des relations plus calmes qu'avec les sunnites. On ne peut pas dire que l'Iran domine la scène chiite irakienne, mais son influence ne doit pas être négligée non plus. Voilà en tout cas une zone où, paradoxalement, les intérêts de Washington et de Téhéran peuvent converger, ce qui explique sans doute que M. Ahmadinejad s'en prend moins vertement à l'Amérique qu'à l'Europe.
Toutefois le message, dans sa brutalité, est clair : Mahmoud Ahmadinejad n'a pas peur. Il ne décèle aucun signe d'une intervention militaire américaine contre l'Iran dans l'immédiat. Le gouvernement des Etats-Unis est déconcerté à la fois par la violence irrépressible des insurgés irakiens et par la baisse du moral des citoyens américains, qui réclament le retour des troupes. Comme Ben Laden ou Zarquaoui, Ahmadinejad estime sans doute que les Américains ont peur de mourir, ou en ont assez de mourir, et qu'il peut leur tenir la dragée haute, surtout s'il a le sentiment qu'il peut contribuer à leur trouver une porte de sortie en Irak.
Deux conclusions.
Mais le danger qu'il représente est beaucoup trop grave, non seulement pour Israël, l'Europe et les Etats-Unis, mais pour l'Iran lui-même. M. Ahmadinejad n'est à la tête de son pays que par la volonté de l'ayatollah Khamenei, un dur des durs, qui ne reniera sûrement pas la phraséologie de son wonder boy, mais se demande, selon des sources concordantes, s'il ne va pas trop loin, s'il ne compromet pas les intérêts bien compris de l'Iran et s'il n'est pas en train de subtiliser son pouvoir au clergé.
De sorte qu'on peut tirer au moins deux conclusions : la première est que les espoirs de réforme en Iran incarnés par le précédent président, l'ayatollah Khatami, sont partis en fumée. Toute la jeunesse iranienne est déçue, qui réclamait la modernisation des mœurs : l'Iran a réussi à se doter d'un président non clérical qui est pire que les ayatollahs. La seconde est que le soutien populaire qui a valu à Ahmadinejad d'être élu (grâce aux voix des pauvres) ne suffira pas à le protéger des ayatollahs ; ils n'auront pas de scrupule à se débarrasser de lui si un jour ils estiment qu'il est plus dangereux qu'utile.
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