Un nez de César

Une dame pressée dans un parking public ; un caillou qui n'aurait pas du se trouver là ; la dame bute et s'étale de tout son long. Comme elle est médecin, elle a tout de suite compris : elle vient de se fracturer le poignet (c'est la troisième fois en dix ans). Sans compter le choc qu'elle a pris en plein visage.
Le gardien du parking est gentil : il quitte son poste et conduit le Dr Shirley K. à l'hôpital. Là, on lui annonce 1 h 10 d'attente. C'est long, d'autant qu'il n'y a plus un siège libre. Alors, le bras en écharpe, le visage tuméfié et se confondant en excuses, elle ose déclarer à l'accueil qu'elle est médecin. Immédiatement, on lui trouve un siège, on dérange le chirurgien pendant son repas, on lui tend un téléphone pour qu'elle puisse appeler son mari et on l'envoie passer une radiographie de son poignet, qui est bel et bien cassé.
Le chirurgien lui dit qu'il l'ajoute à son programme opératoire de l'après-midi. « Et pendant que vous serez sous anesthésie, j'arrangerai votre nez. » « Mon nez ? » Le Dr Shirley H. est complètement interloquée : son nez qui aurait rendu fier Jules César lui-même et qui, de toute façon, est la seule partie indemne de son visage ? « Oui, votre nez, insiste le chirurgien. Il est cassé. Vous êtes-vous regardée dans la glace ? » Le Dr H. se regarde dans un miroir et trouve que son nez à son aspect romain habituel. « Il est normal », réplique-t-elle. Le chirurgien : « M'enfin, je ne peux pas vous laisser comme cela. » La patiente : « Mais il est comme d'habitude. Je ressemble toujours à cela. » Le chirurgien : « Pas possible. » Le dialogue de sourds dure plusieurs minutes. Le mari arrive ; il est dans le couloir. « Robert, crie sa femme, viens voir. » Présentations. « Dites-moi, monsieur, cette dame est-elle votre femme ? » Robert détaille la dame : « Bon, elle est un peu abîmée mais, oui, c'est ma femme. » Alors, et alors seulement, le chirurgien capitule et n'opère que le poignet. Mais était-il vraiment convaincu ? En tout cas, voilà un homme délicat qui sait parler aux femmes.

« BMJ » du 2 février 2002, p. 267.