J'AI SUIVI volontairement plusieurs cures de sevrage pour mes addictions au sein de services hospitaliers depuis cinq ans. Mais la prise en charge - injection continue de médicaments anxiolytiques et hypnotiques, et être livré à soi-même - m'a toujours paru inadaptée, puisque systématiquement, dans les jours qui suivaient ma sortie de l'hôpital, mes problèmes recommençaient. A la fin de 2004, j'ai lu le livre d'Hervé Chabalier relatant son combat contre la maladie alcoolique et détaillant sa cure pendant cinq semaines dans un établissement suisse qui applique une méthode de soins fondée sur le partage en groupe de l'expérience*. Parce que j'ai beaucoup de points en commun avec cet auteur - le métier, l'amour du rugby et de la tauromachie, des problèmes familiaux proches et la forte dépendance -, je suis entré en contact avec le centre de la Métairie afin d'y être hospitalisé. Cette cure n'étant pas remboursée par la Sécurité sociale, j'ai aussi considéré que le coût financier d'une telle démarche (16 000 euros pour 4 semaines) pouvait contribuer à vaincre mes dépendances.
Un objectif pour chaque jour.
Cette cure et la thérapie de groupe sur laquelle elle était fondée ont été un déclic. Les 14 participants - hospitalisés pendant quatre à huit semaines - expriment chaque matin leurs sentiments, leurs émotions, et, au fur et à mesure de la thérapie, les échanges sont de plus en plus libres. Dans la journée, chaque patient s'entretient individuellement avec le psychiatre responsable de l'unité et avec le thérapeute, qui est lui aussi un ancien dépendant en rétablissement de longue date.
Après la définition chaque matin de l'objectif de la journée - essayer de rire, de discuter avec les autres, de tenir encore 24 heures... -, tous les patients participent à la réunion de groupe. Tous les sujets peuvent être abordés, même si, dans les premiers jours, certains éprouvent des difficultés à se livrer, généralement parce qu'ils restent dans le déni de leur état et de leur maladie.
Les participants sont coupés du monde extérieur (pas de portable, ni de télévision), les infirmiers et les thérapeutes sont présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La réunion du matin dure une heure et demie environ et elle est animée par un thérapeute. Les participants se retrouvent ensuite par petits groupes de trois ou quatre pour approfondir certains sujets sans aucune pudeur (activités sexuelles, délinquance, prison, tentatives de suicide, etc.). Cette liberté de parole n'est possible que parce qu'il existe une obligation d'anonymat à la sortie des soins.
Un certain nombre de clés pour éviter la rechute sont proposées : participation à des réunions Alcooliques Anonymes (AA) ou Narcotiques Anonymes (NA), si possible tous les jours durant quatre-vingt-dix jours, avoir un parrain ou une marraine, un confident abstinent depuis plusieurs années qui a déjà fait le programme, avoir toujours un téléphone portable à portée de main pour pouvoir chercher de l'aide en cas de besoin, vivre vingt-quatre heures à la fois sans essayer de se projeter dans les quinze jours ou trois semaines suivantes.
C'est donc au cours de mon séjour à la Métairie que j'ai participé à mes premières réunions Alcooliques anonymes et Narcotiques anonymes, qui se déroulaient à Genève. A l'issue de ces réunions, j'ai été orienté vers des correspondants en France. A mon retour, j'ai suivi des réunions NA, car les participants sont généralement plus jeunes que dans les réunions AA et parce que leur parcours, plus dur, correspondait davantage au mien.
De tous les milieux.
J'ai pu rester abstinent pendant neuf mois. Mais j'ai rechuté gravement, et j'ai été hospitalisé pendant trois jours. Dès ma sortie de l'hôpital, j'ai été pris en charge par un psychiatre et j'ai décidé de retourner aux réunions NA.
Trente personnes en moyenne participent à ces réunions, animées par un modérateur. A Paris, le turnover est important car l'éventail des possibilités est très large (cinquante réunions par semaine). Les participants viennent de tous les milieux, aucune barrière n'existe, la plupart sont honnêtes (bien que certains minimisent ou, au contraire, exagèrent leurs problèmes). Deux obligations pour participer : vouloir devenir abstinent et ne pas avoir de substances ni d'alcool sur soi. Certains, mais c'est rare, ne sont pas encore abstinents au moment où ils assistent à leur réunion. Lorsque j'ai rechuté, je ne me suis pas senti le courage d'aller immédiatement en réunion. Mais dès mon sevrage achevé, j'ai souhaité être de nouveau intégré dans un groupe qui ne m'a pas jugé - beaucoup avaient eu, eux aussi, des périodes de rechute - et qui m'a encouragé à reprendre les réunions. J'ai lié des amitiés avec certains des participants à qui je téléphone, avec qui je sors (bars, boîtes) et qui me permettent de me sentir fort dans des lieux où je pourrais être tenté de consommer.
Actuellement, je suis des réunions presque chaque jour et je suis suivi par un psychanalyste et un psychiatre spécialisés en alcoologie. Il est des sujets, qui ont généralement trait à certains émotions ou envies, que je ne peux aborder qu'en entretien individuel. J'ai choisi, à la suite de ma rechute, de m'entourer d'un maximum d'aide pour me donner toutes les chances de rester abstinent. Cette attitude est critiquée par certains, en particulier par des médecins, mais elle correspond à la volonté de passer un cap. Aujourd'hui, je suis en rétablissement depuis trente-sept jours. Ma mère suit de son côté des réunions anonymes de parents qui lui permettent de parler à des personnes qui vivent la même chose qu'elle.
* « Le Dernier pour la route. Chronique d'un divorce avec l'alcool », Robert Laffont, octobre 2004, 306 pages, 20 euros.
Les médecins démunis
En France, la prise en charge des malades alcooliques reste tout à fait inadaptée, dit Olivier C. La plupart des médecins, y compris de jeunes médecins, ne semblent pas avoir reçu de formation spécifique pour la prise en charge des dépendants. Leur attitude thérapeutique reste très prescriptrice ou ils tendent à orienter, sans pour autant accompagner activement, vers des centres spécialisés. La cure de sevrage à l'hôpital, fondée sur l'administration de substances psychoactives, permet de ne pas souffrir du manque mais laisse le malade totalement livré à lui-même, sans thérapeute de référence ni structure qui permettent de passer le cap de la sortie. Par ailleurs, les délais d'admission (dans mon cas, 36 jours pour une demande faite en urgence) dans des structures spécialisés sont actuellement tellement longs qu'ils ne peuvent répondre à la demande des malades. Il n'y a pas de structures capables d'accepter et de prendre en charge un dépendant en détresse en demande de soins.
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