IL N'Y A PAS UN, mais des paludismes. Il n'y a pas une stratégie de prise en charge, mais un ensemble de mesures à mettre en œuvre en tenant compte de facteurs environnementaux tout autant que de la clinique. Les auteurs de l'ouvrage, lancé par Jean Mouchet*, inspecteur général de recherche honoraire à l'IRD (Institut pour la recherche sur le développement), sont formels. Le paludisme, c'est approximativement un million de morts par an, principalement des enfants, africains dans huit cas sur dix. Mais c'est aussi une maladie bien connue, décrite depuis Hippocrate, identifiée depuis la fin du XIXe siècle, et contre laquelle tous les outils nécessaires existent. Comment expliquer une telle mortalité, sans parler de la morbidité, estimée entre 300 et 500 millions de cas annuels ?
La prévention pour un demi-dollar par an.
La cause principale du paludisme est un parasite, le Plasmodium falciparum, véhiculé par des moustiques. Jusque-là, tout paraît très simple. Mais les auteurs de « Biodiversité du paludisme dans le monde », médecins, entomologiste, hydrologue, nous montrent qu'il n'en est rien. Le moustique se développe de façon préférentielle dans certaines régions, en fonction des conditions d'habitat et d'environnement, de la température, des précipitations, de l'altitude, etc. Les formes diffèrent d'une région à l'autre, influant sur le diagnostic, quand diagnostic il y a. D'un point de vue purement médical, des tests diagnostiques existent et la prise en charge est tout à fait réalisable. La prévention est possible dans les zones endémiques grâce à l'aspersion des murs avec des insecticides (DDT, pyréthrinoïdes) et surtout grâce à l'utilisation de moustiquaires imprégnées de pyréthrinoïdes qui peuvent, pour un demi-dollar par an et par habitant, faire baisser la morbidité de 50 %.
L'arsenal thérapeutique s'est bien développé au cours du XXe siècle, depuis la quinine et la chloroquine jusqu'aux associations de nouvelles molécules à base d'artémisinine (artemether), destinées à vaincre les résistances. Des essais cliniques sont en cours pour le développement de vaccins, tandis que des moustiques transgéniques sont créés pour enrayer la diffusion du parasite.
« Aujourd'hui, on a tous les éléments pour lutter contre le paludisme, on pourrait éviter pratiquement tous les morts », estime Jean Mouchet. Pour contribuer à cette lutte, l'ouvrage qu'il a réalisé avec six autres auteurs s'attache à décrire très précisément l'histoire, la répartition et les spécificités de la maladie, région par région. Il s'agit de créer un outil permettant d'avoir une vision prospective de la maladie afin d'aider à la circonscrire et à la combattre dans toutes ses formes.
Une responsabilité politique.
Mais la partie est loin d'être gagnée. En travaillant près de cinq ans sur leur ouvrage, les auteurs constatent que le paludisme resurgit, voire surgit, dans des régions comme l'Amérique du Sud. Le réchauffement de la planète et les phénomènes comme El Niño, qui modifient les conditions de température et de précipitations, sont incriminés : « On pense que vont augmenter le nombre de porteurs, la densité des porteurs, la superficie », explique Jean Mouchet. Les auteurs estiment que la maladie est « le résultat d'une rencontre entre un agent pathogène et un terrain particulier », explique le Pr Richard-Lenoble (service de parasitologie et de médecine tropicale, Tours), qui évoque les problèmes de nutrition notamment. La réalité du terrain montre que le paludisme se développe dans les régions touchées par une déstructuration sanitaire, comme cela a pu être constaté dans certains pays lors du démantèlement de l'Union soviétique. Formation et information font cruellement défaut : certaines populations attribuent encore la maladie « au soleil, à la mangue, au lait », observe Pierre Carnevale, entomo-épidémiologiste et directeur de recherche à l'IRD. La prévention doit aussi s'adapter au terrain : « Proposer une moustiquaire blanche à des gens pour qui le blanc est celui du linceul, ce n'est pas adapté », explique le chercheur. Surtout, ajoute Pierre Carnevale, « dans certains pays où je me suis rendu, l'accès aux soins, c'est 14 % de la population, c'est-à-dire un accès aux soins tous les six ans ». Les auteurs sont persuadés que l'accès aux soins est un déterminant essentiel dans la lutte. « Si l'industrie pouvait se charger d'apporter sur les lieux la molécule qu'elle a bien voulu créer... », se prennent-ils à rêver.
On l'aura compris, les auteurs fustigent le manque de volonté politique des pays du Nord comme du Sud, qui semblent désengagés des programmes de lutte globale. Ils mettent en garde contre la facilité de prendre prétexte d'un hypothétique vaccin pour marquer le pas dans la lutte. Il faut dire, rappelle Marc Gentilini - qui a préfacé l'ouvrage -, que l'Afrique, dont les enfants sont de loin les premières victimes, « ne représente que 1 % du commerce mondial »...
* « Biodiversité du paludisme dans le monde », Jean Mouchet et coll., éditions John Libbey Eurotext, 2004 (430 pages). Présenté par l'Institut de recherche sur le développement (IRD).
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