Le passage de cellules foetales dans la circulation maternelle est connu depuis plus d'un siècle. Le phénomène n'a toutefois pas suscité une grande attention jusqu'aux travaux sur la transplantation. L'observation des problèmes de compatibilité, d'une part, et des réactions du greffon contre l'hôte, d'autre part, a remis en mémoire cette question du microchimérisme, conduisant certains à s'interroger sur le rôle possible de cellules allogéniques dans des affections réputées auto-immunes.
La démonstration répétée de la présence d'ADN masculin dans des cellules circulantes et des cellules de la peau de femmes atteintes de sclérodermie a évidemment conforté l'hypothèse, sans toutefois prouver un lien de cause à effet. D'autres résultats, moins solides peut-être, mais allant dans le même sens, ont également été obtenus dans la cirrhose biliaire primitive et le syndrome de Gougerot-Sjögren. Depuis quelques années, donc, on commence à considérer très sérieusement la possibilité de phénomènes allogéniques sous-jacents à « l'auto-immunité ».
Les résultats rapportés dans le « Lancet » constituent un élément supplémentaire. Considérant que les maladies thyroïdiennes sont, d'une part, plus fréquentes chez les femmes et, d'autre part, fréquemment exacerbées durant le post-partum , des auteurs américains ont recherché des cellules d'origine masculine, XY, dans la thyroïde de femmes subissant une thyroïdectomie pour diverses raisons. Un microchimérisme a donc été recherché chez 29 femmes, dont 20 avaient eu au moins un fils. L'hybridation in situ (FISH) a permis de mettre en évidence des cellules portant la garniture XY dans la thyroïde de 16 patientes, alors que l'analyse post mortem effectuée chez 8 femmes contrôles, dont 7 avaient donné naissance à un fils au moins, n'a révélé aucun cas de microchimérisme.
Plusieurs points doivent être soulignés. D'abord, si un microchimérisme a pu être mis en évidence dans un large éventail d'affections thyroïdiennes, c'est avec la maladie de Hashimoto que l'association s'est révélée la plus forte : cinq cas de microchimérisme sur six malades. Ensuite, chez une patiente, un microchimérisme particulier a été observé, sous la forme de cellules parfaitement différenciées, regroupées en îlots et intégrées au fonctionnement de la thyroïde, ce qui suggère que les cellules transmises du foetus à la mère étaient des cellules souches, qui se sont implantées et se sont différenciées conformément à leur environnement. Enfin, le problème se pose de l'origine des cellules masculines chez les quatre femmes qui n'ont pas donné naissance à un fils. Les erreurs d'analyse, toujours possibles, affaibliraient beaucoup les résultats. Mais, comme l'indique un éditorial (J. Lee Nelson, University of Washington, Seattle), beaucoup d'hypothèses doivent être envisagées avant l'erreur de laboratoire : la grossesse avortée et la transfusion signalées par une des quatre femmes et, pour les trois autres, la grossesse méconnue, la grossesse gémellaire avec perte d'un foetus, la transmission par la mère des cellules d'un frère aîné, voire les relations sexuelles.
Un phénomène beaucoup plus général
Les sources de microchimérisme sont en fait multiples. Et, comme l'indique l'éditorial, il est possible que le phénomène soit beaucoup plus général qu'on ne l'a imaginé jusqu'à présent. Sans encore faire la preuve d'une relation de cause à effet, l'étude américaine ajoute une observation supplémentaire aux associations déjà rapportées entre maladies auto-immunes et microchimérisme. Mais il n'est encore question que de transmission de cellules de l'enfant à la mère. Si le phénomène est très général, il faut aussi envisager la transmission de cellules de la mère à l'enfant. Auquel cas, on peut s'interroger, par exemple, sur le diabète de type I. La transmission à la mère de cellules souches foetales s'intégrant à la thyroïde semble possible. Pourquoi pas, donc, la transmission par la mère de cellules souches capables de s'implanter et de se différencier dans le pancréas ? Le champ des combinaisons et des pistes potentielles ouvertes par le microchimérisme est a priori immense. Il serait peut-être temps de l'explorer systématiquement.
B. Srivasta et coll. « Lancet » 2001 ; 358: 2034-38.
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