Deux organisations humanitaires, la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) et Human Rights Alliance France, ont publié un rapport édifiant sur le régime de terreur dirigé par Saddam Hussein en Irak.
La liste des exactions commises contre ses propres concitoyens est longue : exécutions massives de Chiites, de Kurdes et de Turkmènes, châtiments inhumains (on coupe des oreilles, on ampute des mains, on décapite les femmes accusées mensongèrement de prostitution et on expose leur tête). Le rapport décrit une dictature qui se maintient au pouvoir par les armes de dissuasion les plus féroces.
Les larmes aux yeux
Il n'y a rien là qui surprenne les personnes quelque peu averties. Mais il est de bon ton, depuis quelques années en France, d'accepter le régime de Saddam Hussein. Bien que nous ayons participé à la coalition militaire qui a évincé les Irakiens du Koweit, notre gouvernement milite aujourd'hui pour la levée de l'embargo sur l'Irak. Des missions humanitaires, comprenant notamment des médecins, sont revenues de Bagdad les larmes aux yeux et nous ont décrit le sort désespéré des enfants irakiens qui meurent de malnutrition à cause de l'embargo.
Ces délégations n'ont jamais été embarrassées par le fait que leur voyage était organisé, (comme celui que Regis Debray a fait, pendant la guerre, en Serbie, où il a découvert un peuple exquis). Elles n'ont pas compris qu'on leur montrait ce qu'on voulait bien leur montrer. Elles ne se sont jamais demandé si Saddam Hussein ne maintenait pas à dessein une partie des enfants irakiens dans un état de famine pour démontrer la nécessité de lever l'embargo.
Elles n'en ont pas moins accusé les Etats-Unis, qui ont refusé jusqu'à présent de mettre un terme au blocus, lequel n'est d'ailleurs que partiel, de se conduire de manière criminelle vis-à-vis de l'Irak. Il ne leur est pas venu à l'esprit que le plus criminel des dirigeants politiques est Saddam Hussein lui-même qui, depuis plusieurs années, bénéficie d'un accord conclu avec les Nations unies et en vertu duquel des vivres et des médicaments sont acheminés régulièrement en Irak en échange d'importations de pétrole irakien pour un montant qui atteint 5 milliards de dollars par semestre. Elles ne se sont pas posé la question de savoir ce que le dictateur irakien pouvait bien faire avec tout cet argent dès lors que, de toute évidence, il ne soignait ni ne nourrissait les enfants de son pays. Elles n'ont visité aucun des 39 palais qu'il s'est fait construire. Elles n'ont évidemment rencontré aucun dissident chiite, kurde ou turkmène : ils se cachent ou sont morts ou encore sont emprisonnés et torturés. Elles n'en ont pas moins dénoncé les bombardements de positions militaires irakiennes par les aviations américaine et britannique. Elles se sont complètement désintéressées des programmes nucléaire, biologique et chimique de l'Irak, qui se poursuivent librement depuis trois ans, c'est-à-dire depuis que Saddam Hussein a expulsé les contrôleurs de l'ONU.
Nous sommes sûrs qu'il leur restera assez de larmes et assez de ressentiment pour déplorer les prochaines victimes des armes chimiques du dictateur irakien que l'on peut d'autant plus soupçonner de vouloir les utiliser qu'il l'a déjà fait.
Un débat très animé oppose en ce moment deux groupes de conseillers du président George W. Bush. Les uns estiment qu'une guerre suffit et que les Etats-Unis ne doivent pas attaquer l'Irak. Les autres pensent que Saddam fait peser une menace beaucoup plus grave qu'Oussama Ben Laden.
A n'en pas douter, M. Bush est intervenu en Afghanistan avec une forte légitimité : il ripostait à une agression sans précédent contre l'Amérique ; il a consulté les Nations unies et obtenu leur soutien ; il a formé une coalition mondiale composée notamment de pays arabes ou musulmans. La tentation est grande - surtout en Europe - de s'en tenir là. Une nouvelle guerre contre l'Irak ferait exploser la coalition qui a tenu bon jusqu'à présent. L'idée même de menace potentielle indique bien que, pour le moment, Saddam ne s'est livré à aucune agression contre des intérêts américains ou occidentaux. Il n'existe aucune preuve sérieuse de liens qu'il aurait avec Ben Laden. Enfin, un assaut contre l'Irak enflammerait le monde arabo-musulman, dont la température est déjà portée au degré de fusion.
M. Bush n'en a pas moins le sens des responsabilités. Il est toujours plus facile de ne rien faire. Mais quand les attentats contre deux ambassades américaines en Afrique ont été commis, Bill Clinton s'est contenté d'envoyer quelques missiles de croisière contre l'Afghanistan ; quand un bateau-suicide a fait sauter le USS Cole dans le port d'Aden, au Yémen, les Etats-Unis n'ont pas réagi. Un an plus tard, les Twin Towers s'effondraient.
Conformisme
La question est donc simple : faut-il attendre que l'Irak procède à un attentat nucléaire, chimique ou bactériologique pour aller chercher le coupable à Bagdad ? Nous conviendrons que la politique de prévention, en la matière, est extraordinairement risquée. Il demeure que nous vivons dans un conformisme intellectuel qui exige de nous que nous soyons victimes avant de nous transformer en agresseurs. Ce n'est ni logique ni rationnel. Et au lieu d'écouter les sirènes de la propagande irakienne et de nous indigner du sort des enfants irakiens livrés à la mort par celui qui est responsable de leur vie, au lieu de trembler devant l'hystérie de populations maintenues dans l'ignorance et la pauvreté par leurs propres gouvernements, au lieu de récrire hypocritement l'histoire, de nous couvrir la tête d'un oreiller et de penser à réaliser quelques affaires commerciales avec l'Irak, nous devrions nous demander si ce n'est pas de la folie de laisser au pouvoir un homme dont la seule raison de vivre est l'espoir de rendre la monnaie de sa pièce à la coalition de 1991.
Ce mégalomane dont d'immenses portraits recouvrent les murs de Bagdad, dont les statues équestres parsèment la capitale irakienne, dont les dépenses somptuaires, la cruauté, le cynisme, la haine de la paix sont les seules nourritures de l'esprit, croyez-vous vraiment qu'il ait pour ambition le bien-être de son peuple ? Croyez-vous vraiment qu'on puisse faire confiance à ce menteur pathologique ? N'a-t-il pas commis assez de crimes à ce jour pour qu'on envisage de mettre un terme à ses projets, quels qu'ils soient ?
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