PAR LE Dr CHANTAL ABADIE*
LA TOXINE BOTULIQUE est une neurotoxine puissante issue de la bactérie anaérobie Clostridium botulinum. Elle bloque la libération d'acétylcholine au niveau de la plaque motrice à la jonction neuromusculaire et paralyse donc les fibres musculaires. Il en existe sept sérotypes. En ophtalmologie, on utilise la toxine botulique A, essentiellement dans le blépharospasme, le spasme hémifacial, l'ésotropie infantile précoce à grand angle et les paralysies oculomotrices.
Le blépharospasme essentiel est une dystonie focale qui se caractérise par une contraction anarchique au niveau des deux yeux du muscle orbiculaire des paupières, contraction involontaire, incontrôlable, spasmodique, favorisée parfois par certains facteurs déclenchants (luminosité, stimulus optocinétique, stress…). Classiquement, il touche l'adulte entre 50 et 60 ans, avec une prédominance féminine.
La maladie est évolutive, débutant par une simple augmentation de la fréquence des clignements, puis les spasmes s'intensifient avec un handicap dans les activités quotidiennes, telles que la lecture, la conduite, le travail, la télévision et, à un stade ultime, il existe une contracture palpébrale quasi permanente, avec cécité fonctionnelle; le patient est totalement isolé et ne peut plus quitter son foyer.
Le plus souvent, le blépharospasme est idiopathique. Dans d'autres cas, il s'agit d'un blépharospasme secondaire, lié à une cause oculaire (kératite, uvéite, postchirurgical…) ou après traumatisme crânien ou accident vasculaire cérébral. La dystonie peut s'étendre vers le bas du visage, réalisant ainsi le syndrome de Meige.
Les injections se font en plusieurs points dans le muscle orbiculaire, tout autour de l'oeil, dans sa portion palpébrale et orbitaire, de façon centrifuge. L'effet apparaît vers le troisième jour et dure environ 3 à 4 mois. La reprise des symptômes est due à une repousse axonale. Les injections sont alors répétées, et il est possible de réviser les doses et les sites à chaque séance.
Le patient est satisfait dans 80 % à 90 % des cas. Les complications sont rares et transitoires (ptosis partiel régressif, diplopie). La sécheresse oculaire par paresse de l'occlusion est, en revanche, fréquente, justifiant un traitement lacrymal substitutif. La toxine a supplanté les traitements pharmacologiques et chirurgicaux.
Le spasme hémifacial.
Dans le spasme hémifacial, la contraction musculaire anormale concerne les muscles de l'hémiface. Les mouvements sont involontaires, paroxystiques, incontrôlables, allant de simples secousses jusqu'à la tétanisation de l'hémiface. Le spasme est responsable d'une modification de l'aspect physique et occasionne surtout des problèmes relationnels. Classiquement, il survient chez des sujets d'une cinquantaine d'années, sans prédominance de sexe. Il est le plus souvent primitif, idiopathique, mais peut aussi être dû à un conflit vasculo-nerveux, avec compression du nerf facial par une boucle vasculaire, au niveau de l'angle ponto-cérébelleux. Cela justifie dans tous les cas une exploration IRM.
Parfois, le spasme hémifacial est secondaire à une paralysie faciale ou bien témoin d'une lésion irritative ou tumorale touchant le nerf facial.
Une intervention neuro-chirurgicale au niveau de la fosse postérieure est possible en cas de conflit vasculo-nerveux, non dénuée de risques, réservée aux formes les plus invalidantes ou résistant au traitement par la toxine botulique.
L'injection locale de toxine botulique représente une alternative très intéressante en raison de son efficacité dans environ 90 % des cas. Les injections se font au niveau de l'orbiculaire du côté atteint et au niveau zygomatique si la commissure labiale est très agitée. Les réinjections se font en moyenne tous les quatre mois.
Aux complications rares, décrites dans le blépharospasme, s'ajoute la possibilité d'une chute de la commissure labiale.
La paralysie du VI.
Elle génère une paralysie du muscle droit latéral avec un spasme du muscle droit médial homolatéral, donc une convergence de l'oeil atteint et souvent une diplopie. La toxine botulique, injectée dans le muscle droit médial spasmé, diminue l'angle de convergence. L'injection se fait, chez l'adulte, sous anesthésie topique, en transconjonctival. L'injection précoce favorise la récupération du muscle droit latéral. En cas de paralysie définitive du VI, seule une intervention chirurgicale pourra être salvatrice.
L'ésotropie infantile précoce à grand angle.
L'enfant présente un grand angle de convergence avec un risque majeur d'amblyopie.
La toxine botulique injectée dans les muscles droits médiaux permet une réduction angulaire, elle a aussi un effet plus durable par réorganisation de l'équilibre oculomoteur. L'injection se fait précocement (vers 1 an), sous anesthésie générale, par une boutonnière conjonctivale, et dans les deux muscles droits médiaux. En postopératoire, le résultat le plus fréquent est une réduction importante de l'angle, qui permet ensuite un traitement optique et orthoptique efficace pour un bon développement visuel. La toxine botulique évite ainsi la chirurgie musculaire chez le tout-petit, sans la gêner ultérieurement si elle est nécessaire, voire en l'optimisant. Le geste est reproductible, il ne laisse aucune séquelle musculo-conjonctivo-ténonienne.
* Service d'ophtalmologie, CHU de Caen.
Les autres indications
• Entropion spasmodique, quand la chirurgie est contre-indiquée.
• Création d'un ptosis thérapeutique par injection dans le muscle releveur de la paupière supérieure, en cas de grave souffrance cornéenne et malocclusion palpébrale. C'est une alternative à la tarsorraphie avec effet transitoire.
• Traitement de la rétraction palpébrale dans l'orbitopathie dysthyroïdienne.
• Injection dans la glande lacrymale en cas d'hypersécrétion chronique invalidante.
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