Un médecin généraliste de Haute-Garonne a été convoqué cet été par la gendarmerie, dans le cadre de la préinstruction d'une plainte contre X déposée auprès du procureur de la République pour « mise en danger de la vie d'autrui par prescription de produits dangereux ». Il a dû s'expliquer sur une ordonnance de Staltor, un anticholestérol, prescrit à l'un de ses patients en juin 2001, soit deux mois avant son retrait du marché par les Laboratoires Bayer, le 8 août 2001.
Selon le syndicat MG-France, « dès que l'annonce du retrait du marché de ce produit a été connue, l'ordonnance a été suspendue lors d'un entretien téléphonique entre le médecin et le patient ». Puis, « lors d'une consultation en août 2001 » le médecin a prescrit un autre anticholestérol autorisé.
Au moment du retrait du marché de l'anticholestérol, les associations de patients et le laboratoire concerné s'étaient engagés auprès de MG-France à ce qu'aucun médecin généraliste ne fût inquiété.
Selon le Dr Pierre Costes, président de MG-France, « il s'agit d'un nouveau problème de responsabilité thérapeutique. Ainsi, la responsabilité d'un médecin pourrait être recherchée chaque fois qu'il choisit tel ou tel produit dans une même classe ». Exemple donné par le Dr Costes : « Un médecin prescrit un acétylsalicylique pour des maux de tête, et le patient développe un ulcère. Le patient pourrait intenter une action en justice parce que le médecin n'a pas prescrit de paracétamol. Si ça continue, on en aboutira à une prescription par classe de produits et non par médicament. »
Le Dr Costes est en contact régulier avec les laboratoires pharmaceutiques qui sont sur la même ligne que MG-France : « Garantir la sécurité du patient et la sérénité du soignant. » Et le Dr Costes de proposer l'organisation à l'Assemblée nationale d'un colloque sur le thème de la responsabilité thérapeutique.
Côté laboratoires on prend l'affaire au sérieux, mais Pascal Tanjoux, directeur de la communication des laboratoires Bayer reste prudent : « Nous avons appris l'affaire comme tout le monde par une dépêche de l'AFP, mais nous ne disposons pour le moment d'aucune autre information ; dans cette affaire, nous avons pris toutes nos responsabilités en son temps. Nous ne nous en désintéressons pas, mais il est trop tôt pour la commenter ; laissons faire la justice. »
Du côté de MG-31 (Haute-Garonne), son président, le Dr Frédéric Pozzobon, indique que le médecin entendu par la gendarmerie ne souhaite pas pour l'instant faire de déclaration, mais ajoute : « Tout ce que je peux vous dire, c'est que la manière dont la plainte a été rédigée semble indiquer que le plaignant a été très bien entouré lors de la rédaction de sa plainte. » S'agit-il simplement d'un avocat spécialisé, ou par exemple d'une association de consommateurs ? La question reste posée.
Une plainte qui a peu de chances d'aboutir
De l'avis général, cette plainte n'a que fort peu de chances d'aboutir, mais elle est une excellente raison pour ouvrir le dossier sur le fond. Un sentiment partagé par Jacques Lucas, secrétaire général du Conseil national de l'Ordre des médecins, qui se demande « à quel titre le prescripteur d'un médicament mis légalement sur le marché pourrait être inquiété, du moment qu'il en respecte les indications, la posologie et les contre-indications ? On sait qu'il est infiniment moins dangereux de prescrire de la camomille qu'une molécule anticancéreuse, et on prendrait le risque (si la plainte du patient aboutissait, NDLR) que les médecins ne prescrivent presque plus jamais de molécules nouvelles ». Pour le Dr Lucas, « s'il devait y avoir des responsabilités à rechercher, ce ne pourrait certainement pas être du côté du prescripteur, à condition encore une fois qu'il ait bien respecté indications et posologie, mais plutôt du côté des commissions d'autorisations de mise sur le marché. Mais il faut être extrêmement prudent sur ces questions ».
Le Dr Lucas s'inquiète de ce nouveau problème de responsabilité médicale et de couverture des risques : « Si les assurances doivent en plus prendre en charge ce risque, où va-t-on ? »
Comment un médicament obtient une AMM
Tout médicament, avant d'être commercialisé par un laboratoire, doit bénéficier d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par une commission, dite d'AMM, qui fait partie de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Pour obtenir ce label indispensable, l'entreprise doit déposer auprès de la commission ad hoc des dossiers très fournis en données scientifiques, techniques et en comptes rendus d'experts.
Le laboratoire peut cependant préférer s'adresser directement à l'Agence européenne du médicament qui se trouve à Londres depuis sa création en 1995 et qui, après l'avis du comité des spécialités pharmaceutiques qui siège en son sein, peut recommander à la Commission de Bruxelles de délivrer une AMM. Laquelle est alors valable dans l'ensemble des pays de l'Union européenne.
Il existe une autre procédure européenne, dite procédure de reconnaissance mutuelle. Dans ce cas, le laboratoire dépose son dossier d'AMM dans un des pays membres de l'Union. Si l'autorisation de mise sur le marché est alors accordée, elle peut être étendue aux autres pays. Mais il est clair que les laboratoires, surtout les firmes multinationales, s'adressent plus souvent à l'agence londonienne plutôt que de s'engager auprès d'une agence nationale. Ce qui, à terme, posera le problème du financement des organismes locaux dont certains experts annoncent déjà la fin prochaine.
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