L’AFFAIRE remonte à novembre 2002. Une femme généraliste, de retour chez elle dans les Côtes- d’Armor après une journée de travail éprouvante, doit enchaîner directement sur une garde de nuit. A cette époque, la nouvelle organisation de la permanence des soins est bien loin d’être mise en place, et les gardes ne sont pas rémunérées. Il est plus de 1 heure du matin, et fatiguée, ce médecin oublie de garder auprès d’elle le téléphone portable sur lequel elle peut être jointe à tout moment, et elle s’endort de fatigue, comme elle le reconnaîtra elle-même.
Peu de temps après, le père d’une fillette de 11 ans appelle le Samu : son enfant a de la fièvre et souffre de maux de tête. Le permanencier du Samu lui donne le téléphone de la femme médecin de garde, mais, malgré les appels répétés du père et du Samu, le médecin ne décroche pas. Ce n’est qu’à 4 h 30 du matin que la fillette est hospitalisée aux urgences de Lannion. Très vite, les médecins diagnostiquent une méningite à méningocoque, et l’enfant est transférée à l’hôpital de Saint-Brieuc, où elle décédera dans la journée.
La femme médecin est rapidement mise en examen pour homicide involontaire. Elle comparaissait il y a quelques jours devant le tribunal correctionnel de Guirgamp, où elle a assuré seule sa défense, sans l’aide d’aucun avocat. Reconnaissant sa faute professionnelle, elle a cependant précisé au cours de l’audience que le père de la fillette n’avait sans doute pas été bien orienté par le Samu : «Je ne suis pas urgentiste, je n’avais ni le matériel ni les médicaments nécessaires, je n’aurais sans doute rien pu faire», témoigne- t-elle. Mais le procureur requiert contre elle 18 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire. Pour la femme médecin, la pilule est dure à avaler : «Le Samu a pourtant été contacté quatre fois par le père. Or aucune plainte n’a été portée contre lui», dit-elle. Depuis les réquisitions du procureur, des rumeurs courent selon lesquelles les enregistrements des conversations téléphoniques, que le Samu doit conserver au moins trois ans, auraient disparu, compliquant ainsi la tâche de la justice.
Seule.
Pour le Dr Nikan Mohtadi, président de la FMF-Bretagne et très impliqué dans les combats pour l’amélioration de la permanence des soins, «au-delà du drame que constitue la mort de cette fillette, le plus étonnant est que personne n’était au courant de cette affaire. Et manifestement, cette femme médecin s’est retrouvée bien seule, à tel point qu’elle s’est défendue sans l’aide d’un avocat». Il regrette que la praticienne soit l’accusée unique du procès : «A l’époque, en matière de PDS, tout le monde bricolait. De plus, à chaque appel du père de la fillette au Samu, celui-ci indiquait que l’état de sa fille se détériorait. Certes, le diagnostic de méningite ne s’imposait pas, mais, dans le doute, le Samu aurait dû envoyer une équipe. Le problème, c’est que dans notre région, et malgré nos propositions, il n’y a pas de mutualisation des moyens entre la PDS et l’aide médicale d’urgence. Et en cas de défaillance de l’effecteur de terrain, il n’y a aucun protocole de remplacement.»
Au Samude Saint-Brieuc, le Dr Jean-Yves Briant assure que, «contrairement à ce qui a été écrit, les bandes magnétiques d’enregistrement des appels au Samu, ainsi que les éléments du dossier d’appel comme les fiches informatiques et la main courante, ont été saisis par la justice et intégrés au dossier».
Il précise à ce sujet que tous les enregistrements sont conservés et archivés depuis 1997, et qu’un enregistreur sur support CD a même été mis en place en 2004 pour améliorer les conditions de conservation et de stockage de ces enregistrements.
Le Dr Briant assure qu’une enquête a été diligentée au Centre 15 par le procureur de la République, et que, dans ce cadre, il a procédé à «l’audition des personnels de ce service». Quant au délai de réaction du Samu, après la défection du médecin de garde, il précise que c’est «devant l’absence de réponse du médecin de garde, ndlr), que le Centre15 a conseillé aux parents de conduire l’enfant vers le service d’urgences le plus proche afin qu’elle puisse être examinée. C’est là que le diagnostic a été réalisé. L’absence de diagnostic médical de l’enfant à son domicile n’a pas permis au Centre15 de déceler par téléphone un état pathologique de détresse vitale. Il s’agit en effet d’une affection gravissime nécessitant un diagnostic précoce fondé sur un examen clinique très attentif dès les premières manifestations».
Le jugement a été mis en délibéré au 19 juillet.
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