De notre correspondante
à New York
« Il faudra au moins plusieurs années supplémentaires pour développer des tests plus efficaces », prévient dans un communiqué le Pr Andrew Feinberg, du Kimmel Cancer Center à Johns Hopkins (Baltimore), qui a dirigé ces travaux. « Il nous faut aussi suivre les patients prospectivement pour voir s'ils développent un cancer après que le test s'est montré positif. »
Les mutations génétiques identifiées pour les rares formes héréditaires de cancer recto-colique sont utilisées pour évaluer le risque de ces cancers, mais ils ne représentent que 1 % de tous les cancers recto-coliques.
Le marqueur génétique identifié par l'équipe de Johns Hopkins concerne les formes plus courantes, qui surviennent de façon sporadique dans la population générale. De 30 à 50 % des cancers sporadiques sont associés à un risque familial.
L'équipe de Cui, Feinberg et coll. s'est intéressée à une anomalie trouvée dans de nombreux cancers : la perte de l'empreinte du gène du facteur de croissance insulin-like 2 (IGF2).
La perte de l'empreinte du gène IGF2
L'empreinte génétique (en anglais, Genomic Imprinting) est ici une forme d'inactivation du gène, d'origine épigénétique, par l'addition de groupes méthyl sur l'ADN. La méthylation de l'ADN empêche sa lecture. Elle peut être héritée, acquise, et potentiellement réversible.
Normalement, deux copies d'un gène sont héritées, l'une de la mère, l'autre du père, et l'une des deux copies est inactivée, tandis que l'autre est activée. La perte d'empreinte (en anglais, Loss of Imprinting ou LOI) du gène IGF2 est trouvée dans plusieurs types de cancer (tumeurs de Wilms, ovaire, poumon, foie, côlon). Elle entraîne la perte d'inactivation d'une copie du gène et une expression accrue d'IGF2, un facteur de croissance tumoral.
L'équipe du Dr Feinberg a constaté que la perte d'impression du gène IGF2 est trouvée dans la muqueuse colique normale chez 30 % des patients ayant un cancer recto-colique, mais seulement 10 % des individus sains. Une étude pilote a donc été conduite pour voir si la perte d'empreinte d'IGF2 dans les lymphocytes pourrait servir de marqueur de risque de cancer recto-colique.
Cent soixante-douze patients ayant une coloscopie pour diverses raisons et qui acceptaient de subir des biopsies ont été étudiés. Parmi eux, 25 avaient un test sanguin positif (perte d'empreinte d'IGF2 dans le sang).
Ceux qui ont une histoire familiale de cancer recto-colique ont cinq fois plus de risque d'avoir un test positif que les autres ; ceux qui ont des polypes ont 3,5 fois plus de risque d'avoir un test positif ; ceux qui ont une histoire personnelle de cancer recto-colique ont 21 fois plus de risque d'avoir un test positif.
Les 25 sujets avec marqueur sanguin positif ont aussi le marqueur dans le côlon droit et gauche, ce qui suggère que l'anomalie est héritée ou acquise dès le jeune âge.
Les chercheurs espèrent trouver des médicaments qui puissent inverser l'hypométhylation afin de, peut-être, prévenir le cancer.
Puisque les influences épigénétiques changent au fil du temps, les chercheurs projettent de suivre un groupe plus large de patients pour confirmer que l'anomalie survient avant le développement du cancer. « Nous espérons que ces résultats permettront d'identifier les personnes porteuses d'un risque accru de cancer du côlon, afin de les suivre étroitement et de prévenir ou traiter précocement le cancer », observe le Dr Feinberg.
Prédire un très faible risque ?
« C'est un pas vers le développement d'un test non invasif pour détecter le cancer », commente dans un article associé le Dr Ransohoff, du National Cancer Institute (NIH, Bethesda). Toutefois, ce marqueur est indirect, souligne-t-il, car il évalue seulement la tendance du tissu colique à devenir cancéreux. « Il pourrait toutefois être utile en clinique si, seul ou avec d'autres marqueurs, il était suffisamment sensible pour qu'un test négatif prédise un très faible risque de cancer recto-colique et rende inutile le dépistage standard (coloscopie incluse). »
« Science » du 14 mars 2003, pp. 1753, 1679.
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