La prise en charge de la douleur chronique à domicile représente une situation émergente dont l'ampleur va croissant. Les douleurs réfractaires (cancéreuses, neuropathiques d'origine centrale) confrontent médecin et patient dans un colloque singulier car le nombre de lits hospitaliers décroît, les séjours à l'hôpital sont de plus en plus courts et, bien sûr, la population vieillit. Cet accroissement de la demande de soins se heurte à une organisation encore balbutiante avec l'essor des réseaux de lutte contre la douleur et la place pivot réaffirmée du médecin généraliste souvent mal préparé à cette situation.
EN RÉPONSE à la problématique de la prise en charge de la douleur hors les murs, des réseaux de lutte contre la douleur se sont développés en France. Il n'existe pas actuellement d'organisme fédérateur ni de modèle reproductible de ces structures. En France, 110 réseaux de soins palliatifs prennent actuellement en charge environ 27 500 patients. À ces structures s'ajoutent 337 équipes mobiles douleur-soins palliatifs et 78 unités de soins palliatifs qui regroupent 700 lits. À moyen terme, la capacité d'hospitalisation devrait atteindre 4 000 lits grâce aux lits dédiés. Ce chiffre reste modeste par rapport au nombre de patients cancéreux en France et, précise le Dr Francine Hirszowski, «les soignants ont l'impression de s'enliser, d'être surchargés, ont peur de ne pas y arriver, de ne pas tout comprendre, d'être parfois inutiles et de se sentir seuls sur ce chemin long et abrupt!».
Les réseaux de lutte contre la douleur.
L'objectif des réseaux de lutte contre la douleur est d'améliorer la qualité des soins pour les patients souffrant de douleurs chroniques, en s'appuyant sur un regroupement de professionnels de santé de disciplines variées, comme l'explique le Dr Hirszowski du réseau LCD qui inclut des généralistes, des spécialistes, des pharmaciens, des psychologues, des kinésithérapeutes et l'équipe du centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD) de l'hôpital Saint-Antoine à Paris. Ce type d'organisation, très hexagonal, est destiné à intervenir là où les hôpitaux sont surchargés et les généralistes débordés. Dans d'autres pays comme la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou la Norvège, il existe des équipes mobiles hospitalières « douleur-soins palliatifs » qui visitent les patients à domicile. Dans ces systèmes, les piliers de soins sont des infirmiers qualifiés de type Macmillan nurses, autorisés à prescrire des traitements médicamenteux sur une durée de 48 heures et qui travaillent en collaboration avec des médecins hospitaliers. En France, les généralistes restent les interlocuteurs des patients et les membres des réseaux ne se substituent pas à eux. Toutefois, ils sont très isolés face à ces malades qui souffrent, manquent souvent de disponibilité pour des visites mal valorisées et sont mal informés des protocoles thérapeutiques existants. Les réseaux, sans se substituer aux généralistes, ont pour vocation de faciliter leur exercice en se proposant comme interlocuteur référent en cas de besoin et en intervenant lorsqu'ils n'en ont pas la capacité. Les généralistes ayant une compétence en algologie peuvent adhérer au réseau. Ils entrent alors dans un système qui prévoit des dédommagements pour le temps consacré aux patients ayant des douleurs chroniques, qui offre des formations et, éventuellement, un soutien psychologique et des échanges entre professionnels. Il existe également une possibilité de dérogation tarifaire pour un généraliste de ville qui souhaite suivre un patient souffrant de douleur chronique réfractaire. Une assistance téléphonique est à l'écoute des praticiens pour toute aide à la gestion de la douleur depuis les stratégies thérapeutiques jusqu'à une consultation d'orientation par la coordination médicale. Le Dr Hirszowski précise : «Grâce à un dossier médical partagé, les membres de l'équipe ont un accès permanent aux données médicales du patient intégré dans le réseau, ce qui facilite la coordination de sa prise en charge pluridisciplinaire (physique, psychique, sociale et spirituelle). Pour des raisons médicales, voire parfois pour décharger les proches ou les soignants d'une tension psychologique forte, une hospitalisation provisoire peut être nécessaire. Toutefois, les hôpitaux sont surchargés et il est souvent difficile de trouver une place rapidement. De nouveaux concepts de fonctionnement apparaissent pour ces patients souffrant de douleurs réfractaires, il s'agit des hospitalisations de “répit” ou des hospitalisations de jour.»
Savoir titrer les opioïdes hors les murs.
Le généraliste « spécialiste traitant » de la douleur a la charge de résoudre la difficile équation entre la proximité et la compétence lorsqu'il est au domicile du patient, sans compter, nous dit le Dr Dominique Delfieu, «qu'ils sont insuffisamment formés en algologie par rapport à ce qui se pratique dans les services de soins antidouleur». La titration des opioïdes consiste à déterminer la dose minimale adéquate de morphine qui entraînera une sédation optimale de la douleur. Certaines étapes sont à respecter :
– Savoir à quel moment débuter la morphine. Traditionnellement, elle doit être utilisée quand ont été épuisé les traitements correspondant aux trois paliers de l'OMS. «En pratique, c'est l'intensité de la douleur qui guide le choix.»
– Choisir la voie d'administration. Au domicile, la préférence est donnée à la voie orale. Les formes à libération prolongée permettent d'espacer les prises. Des opioïdes à libération immédiate sont employés en interdose et lors des accès douloureux transitoires. Très prochainement, des formes orodispersibles (spray et inhalateur) permettront, par leur rapidité d'action, d'aider à mieux maîtriser encore la douleur.
– Prescrire les bonnes doses au bon rythme. La posologie est fonction de la douleur, du poids, de l'âge et de l'état général du patient. Après l'initiation du traitement à raison de 10 ou 20 mg de chlorydrate de morphine pour inaugurer le traitement et avoir une sédation immédiate de la douleur, on utilise généralement un sulfate de morphine à la dose de 30 mg/12 h ou des patchs de fentanyl de 12 ou 25 µg/h. Les interdoses doivent correspondre de 1/10 à 1/6 de la dose journalière d'équivalent de morphine orale, soit respectivement 10, 20, 30 et 40 mg de morphine pour des patchs de 25 µg/h, 50 µg/h, 75 µg/h et 100 µg/h. La réponse est évaluée au bout de 24 heures. Il ne faut pas laisser le patient souffrir et la prescription doit se faire à intervalle régulier et non à la demande du patient.
– Adapter la posologie. Si la sédation est insuffisante, les doses sont augmentées de 25 à 50 % tout en surveillant l'état de conscience. Après 3 ou 4 jours, si la somnolence est trop importante, les doses sont diminuées de 25 %.
– Prévenir et reconnaître les effets indésirables des morphiniques. La constipation est constante. Les nausées et les vomissements sont fréquents. La somnolence présente en début de traitement a tendance à s'estomper dans un deuxième temps. Les dépressions respiratoires sont rares avec les formes peros et il n'y a pas d'accoutumance.
Le Dr Delfieu conclut qu' «il est impératif que le médecin libéral soit apte à instaurer et à manipuler des drogues permettant la sédation des symptômes douloureux et épargnant ainsi au patient des déplacements contraignants jusqu'au centre de référence».
L'incidence annuelle des cancers chez l'enfant est d'environ 1 800 nouveaux cas. La majorité est diagnostiquée avant l'âge de 6 ans. La douleur est présente chez les enfants et leur famille parfois même avant le diagnostic. En effet, chez l'enfant, le retard au diagnostic est fréquent, il est évalué à 93 jours pour les tumeurs cérébrales et à 170 jours pour le sarcome d'Ewing. Les soins (effraction cutanée par injection, ponction, myélogramme…), notamment ceux qui sont prodigués à domicile, sont une source importante de douleur. Il ne faut donc pas hésiter à utiliser les crèmes anesthésiques.
Le MEOPA, mélange équimoléculaire oxygène/protoxyde d'azote, associe une action anxiolytique, amnésiante, euphorisante et un effet antalgique. Il est proposé pour tous les soins entraînant une douleur légère à modérée. Il est délivré par la pharmacie hospitalière et utilisé dans le cadre de la HAD ou dans les réseaux de soins palliatifs à domicile. Le traitement antalgique de fond fait également appel aux opioïdes en adaptant leur posologie au poids de l'enfant. Les techniques non médicamenteuses ont un intérêt évident dans la prise en charge de la douleur, surtout chez les enfants polymédicamentés.
Enfin, si l'enfant ne guérit pas (dans 20 à 30 % des cas), la gestion de toutes les formes de douleur (physique, psychique) est l'un des principaux objectifs des équipes tout en maintenant le plus longtemps possible une vie relationnelle de qualité.
D'après la session « Douleur et Cancer » sous l'égide de la SFETD (Société française d'étude et de traitement de la douleur) et du Collège national des médecins de la douleur, avec la participation des Drs Francine Hirszowski (Paris), Dominique Delfieu (Paris), Agnès Suc (Toulouse), Alain Serrié (Paris) et Françoise Loué (centre Albert-Thuret, Chevilly-la-Rue).
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