TOUT CE QU'ON PEUT trouver en France de petit, d'étroit, de mesquin et, surtout, d'hypocrite est concentré dans la dispute nationale qui oppose nos dirigeants à la population à propos du lundi de la Pentecôte. On décèle, dans cette dispute, les mêmes ingrédients qui nourrissent le « non » au référendum sur le traité européen. Une grosse fraction du peuple dit « oui » à l'Europe, mais pas de cette manière, et « oui » à la solidarité, mais pas de cette manière. Autrement dit, le « non » à l'Europe et le « non » au jour travaillé vont triompher en se donnant bonne conscience, alors qu'ils sont destructeurs.
Ce n'est pas que le gouvernement nous ait invité à approuver sa méthode. Il aura été, dans cette affaire, très autoritaire, puis très craintif. Il a déjà fait des concessions et s'est livré à un repli tactique sur une idée qui était bonne au départ mais autour de laquelle il s'est bien gardé d'organiser un consensus.
Le principe qui sous-tend l'idée est admirablement français. Il est la reproduction d'une valeur de base qui a donné naissance à la Sécurité sociale ; il convoque la solidarité des Français, si souvent invoquée par eux, mais rarement mise en œuvre ; il tend à revaloriser, pour ne pas dire glorifier, le travail ; et il fait de ce travail le matériau qui nous protège tous.
Une idée sociale.
Pour tous ceux qui, aujourd'hui, débinent le projet comme s'il était né dans l'esprit malade d'un technocrate devenu fou, la critique ne peut pas se hisser au niveau d'une idée qui a fondé l'une des plus grandes réussites françaises. Au moment où nous en sommes tous à pleurer le bon vieux temps, ce pourrait être une idée syndicale, sociale, socialiste, communiste : pour nos vieux et nos handicapés, nous donnerons une journée de notre travail.
Sous la houlette de François Chérèque, qui a déjà pris un risque insensé quand il a approuvé la réforme gouvernementale des retraites, le syndicat Cfdt s'efforce d'apporter son soutien au projet de Jean-Pierre Raffarin ; mais les autres syndicats appellent à la grève. Le message est clair : nous n'avons rien contre les vieux et les handicapés, mais le gouvernement doit trouver ailleurs le financement de leurs conditions de vie. Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux Personnes âgées, a beau exposer à ceux qui prennent le temps de l'écouter le montant recueilli, deux milliards d'euros, et la ventilation des fonds, François Hollande, qui, le pauvre, ne peut pas toujours dire « oui », annonce une « immense pagaille » pour le 16 mai, date de la Pentecôte.
Il n'a pas tort : ceux qui travailleront vont se heurter aux vacances ou aux grèves des autres.
Car le monde des travailleurs est entré en insurrection. Motif : quand on paie 29 millions d'euros au P-DG de Carrefour, viré par son conseil d'administration, on ne demande pas des sous aux camarades syndiqués.
COMMENT UNE IDÉE GÉNÉREUSE S'EST TRANSFORMÉE EN POMME DE DISCORDE NATIONALE
Une minute cinquante-deux secondes.
Ne perdons pas de temps à comparer 30 millions et 2 milliards. N'essayons pas de fustiger l'inanité de ce raisonnement économique, sauf pour admettre que le bonus de Daniel Bernard est scandaleux. Employons-nous seulement à comprendre comment une idée aussi forte, aussi bien ancrée dans des valeurs largement partagées par les Français, a pu se transformer en nouvelle guerre entre gouvernants et gouvernés, droite et gauche, riches et pauvres.
Il est certain que M. Raffarin est allé plus vite que la musique. Il avait, cette fois, une très bonne chance d'associer tous les syndicats à sa démarche. Ils lui font payer aujourd'hui, au moment où le gouvernement est fragilisé par le référendum, son incompétence en matière de communication. Maintenant, Jacques Chirac et ses amis sont tellement effrayés par la boulette qu'ils ont faite qu'ils en sont à décider une exception pour la Sncf, dont les salariés auront bien un jour de congé le 16 mai, mais travailleront, tenez-vous bien, une minute et cinquante-deux secondes de plus par jour. 1 min 52' ! Et voilà la semaine de 35 heures, une minute et cinquante-deux secondes. Il n'y a qu'en France qu'on invente de pareilles histoires. Inutile de dire que la prolongation de la journée de travail sera invérifiable. Inutile de dire que les employés de la Ratp et autres services publics vont imiter la Sncf. Peu importe : dans notre pays sans égal, la Pentecôte travaillée a déjà force de loi et, depuis le début de l'année, l'Etat prélève 0,3 % sur tous les revenus, y compris ceux de l'épargne, pour financer son projet. Comme d'habitude, on aura relégué au domaine de la fiscalité toujours croissante ce qui aurait pu, pour une fois, relever de la générosité nationale.
Le gouvernement campe sur ses positions ? Façon de parler : pour 2005 en tout cas, il n'est pas question de refaire de la Pentecôte un jour férié. Ce qui veut dire qu'en 2006... Ou bien encore qu'un gouvernement socialiste réinstituera un jour chômé dont l'origine est religieuse. Et vive la laïcité, si bien défendue par le PC, par le PS et par les syndicats ! On annonce un séminaire sur la question pour le 26 avril. Un peu tard pour « vendre » l'idée à nos concitoyens.
Bien sûr, au bout de la dispute, on décèle le schisme philosophique créé par la semaine de 35 heures. La gauche et les syndicats défendent comme de beaux diables une réduction du temps de travail qui aura été un désastre national, quand le gouvernement s'efforce de changer les mentalités, justement pour remédier à une mesure « historique » qui aura laissé notre économie exsangue. Mais tout de même : ceux qui auront envie de travailler le 16 mai auront bien du souci : les syndicats n'ont pas leur pareil pour transformer un jour férié en jour de grève. Monday is closed.
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