----
LE QUOTIDIENPourquoi avez-vous ressenti le besoin d'écrire un livre de ce type, entre dictionnaire et uvre de réflexion ?
----
Pr MICHEL HAUTECOUVERTURETout le monde sera d'accord pour admettre que la médecine et les systèmes de santé traversent une crise, qui pour une part, mais pour une part seulement, est le reflet d'une crise générale. Partant de là, il nous semblait important de proposer une réflexion partant des termes qui sont quotidiennement utilisés, alors même que l'on en a un peu oublié le sens. En tout cas, il nous semblait indispensable de redéfinir les principes qui doivent sous-tendre cette terminologie. A ce titre, on est bien sûr plus près de la démarche encyclopédique que du dictionnaire mais comme le terme encyclopédie est lui-même un peu ambigu, nous avons préféré celui très simple de « livre ». On a bien compris qu'à travers le manifeste et les définitions proposées nous voulons tous faire passer un message.
----
Lequel ?----
Pr LAURENT DEGOSTout simplement rappeler que le rôle du médecin n'est pas seulement de traiter la maladie mais aussi et surtout de prendre en charge des patients. On a trop voulu transformer le médecin en hypertechnicien, ce qui s'est accompagné d'une dérive normative, d'une catégorisation à outrance des actes pratiqués par le médecin. On voit bien l'intérêt administratif et économique de cette démarche mais à trop aller dans ce sens, la médecine risque d'y perdre son âme.
----
Pr MICHEL HAUTECOUVERTUREQu'on nous comprenne bien, il ne s'agit pas pour nous d'une démarche corporatiste et passéiste. Nous avons conscience des mutations inéluctables engendrées par les énormes progrès scientifiques que nous avons connus au cours des dernières décennies. A contrario, il nous semble indispensable de ne pas accepter, sous couvert de ces progrès scientifiques, une déshumanisation progressive de la médecine qui ferait perdre au médecin son rôle d'homme aidant un autre homme malade. Et ce n'est pas en multipliant les colloques sur l'éthique ou sur les soins palliatifs, par exemple, que l'on réglera le problème. C'est dès la formation initiale des jeunes médecins que l'on doit réintroduire cette liberté d'esprit qui manque de plus en plus cruellement et qui est d'ailleurs, consciemment ou non, combattue.
Intégrer l'humain dans la science
----
Tout de même, la médecine, qui était jusqu'à hier un art, n'est-elle pas de plus en plus en train de devenir une science ?----
Pr LAURENT DEGOSNous ne remettons absolument pas en question la nécessité des grandes études épidémiologiques et de la médecine fondée sur les preuves. Nous disons simplement que ces données doivent guider le médecin sans pour autant aliéner sa liberté. Elles doivent être prises en compte impérativement, mais elles doivent être adaptées en fonction de chaque cas particulier. Ainsi une norme mérite d'être relativisée en fonction du terrain particulier, en fonction d'une comorbidité éventuelle. Autrement dit, les vérités collectives sont aujourd'hui essentielles mais elles ne s'appliquent pas comme un dogme pour régler chaque problème particulier que pose une consultation médicale.
----
Pr MICHEL HAUTECOUVERTUREOpposer humanisme ringard et science n'a pas de sens, d'autant que l'on voit bien aujourd'hui que la lutte contre la maladie est trop rarement finale et que la grandeur de la médecine vient aussi des soins prodigués à des malades qu'on ne sait pas encore guérir et que l'on ne pourra jamais guérir. Après quelques années d'optimisme démesuré, on doit admettre aujourd'hui que, dans bien des cas, la médecine ne résoudra pas scientifiquement et définitivement le problème. Il y aura toujours dans l'acte médical une part d'empirisme, de symptomatique et parfois de palliatif, raison de plus pour réhabiliter les soins et intégrer l'humain dans la science.
La dictature de l'immédiat
----
Dans votre manifeste, vous égratignez les médias. Que leur reprochez-vous ?----
Pr LAURENT DEGOSJe ne pense pas que nous les attaquions en constatant qu'en médecine comme ailleurs on privilégie aujourd'hui l'immédiat et le factuel. Ce qui en soi n'est pas une mauvaise chose si on se donne parfois le temps d'une réflexion de fond et si l'on a la sagesse de ne pas présenter ou accepter ces données factuelles du moment comme une vérité immuable. Nous pensons que beaucoup de journalistes se posent d'ailleurs ces problèmes.
Médecins et philosophes
----
Pourquoi avoir écrit ce livre sous la direction de deux philosophes au demeurant prestigieux ?----
Pr MICHEL HAUTECOUVERTURECette collaboration nous a enrichis mais je dirais même qu'elle nous a libérés. En effet, nous avons constaté en rédigeant ce livre que, comme beaucoup de nos confrères, nous étions prisonniers du politiquement et économiquement correct, ce qui nous interdisait de formuler clairement ce que nous ressentions au plus profond de nous-mêmes. La lecture de notre livre aura, j'ose l'espérer, le même effet libérateur chez les médecins en même temps qu'il sensibilisera le public à des enjeux de santé essentiels pour le devenir de la qualité des soins.
* « Le Livre de la médecine », sous la direction de Michel Serres et Nayla Farouki, par le Pr Laurent Degos (professeur d'hématologie clinique, hôpital Saint-Louis, Paris), le Pr Michel Hautecouverture (diabétologie, endocrinologie et maladies métaboliques, hôpital Saint-Joseph, Paris), le Dr Didier Jeannin (généraliste, urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière), le Dr Christian Spadone (psychiatre, hôpital Foch). Editions Le Pommier, diffusion Harmonia Mundi, 1 102 pages, 45 euros (295,18 F), prix de lancement jusqu'au 31 janvier, ensuite 54 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature