LE CIBLAGE des gènes a transformé la médecine scientifique. Il a permis l'évaluation expérimentale d'hypothèses concernant la fonction de gènes spécifiques. Avant cette époque, rendue possible grâce aux travaux des trois prix Nobel, la compréhension du rôle des gènes dans les organismes supérieurs était le résultat d'observations de mutations spontanées chez des patients ou des animaux de laboratoire, d'études de relation ou d'associations, de l'administration de produits de gènes à un animal ou parfois de cultures cellulaires.
«Pour mieux comprendre, l'apport des travaux des trois chercheurs, un rappel historique est nécessaire, explique au « Quotidien » le Dr Lionel Larue, directeur de recherche INSERM, UMR 146 CNRS. Pour manipuler le génome murin, il a fallu maîtriser la biologie moléculaire. Cela a été possible grâce aux souris transgéniques de base, dans les années 1980. Il s'agissait de manipulation d'ADN et d'injection dans le pronucléus mâle. Les chercheurs se sont ainsi rendu compte qu'ils pouvaient intervenir sur le génome. Et donc manipuler l'embryon du stade de la cellule jusqu'au blastocyste. On pouvait travailler in vitro : récupérer un embryon, le manipuler et le réimplanter. Cette recherche a nécessité aussi l'apprentissage des milieux de culture et de leur traitement.»
Depuis, les chercheurs ont pu s'intéresser à des embryons d'animaux plus gros : cochons, vaches, lapins… Il est devenu possible de réaliser des clonages «mais pas de type Dolly, nous parlons de clonage à partir de blastomères». Ce type d'intervention sur l'embryon porte sur le lapin principalement dont les ovocytes se divisent en 2 à 16 cellules. Toutes sont totalement identiques jusqu'au stade 16 cellules. Ce qui veut dire qu'il est possible d'obtenir 16 lapins à partir de chacun de ces blastomères.
Chez la souris, la division en cellules totalement identiques s'arrête au stade 2 cellules. Il n'est possible d'obtenir que deux souris à partir des blastomères. «On peut donc manipuler, scinder, faire des constructions…», explique Lionel Larue.
A Philadelphie, Béatrice Mintz a pris des morulas (embryon avant le stade blastocyste) de deux souris de phénotypes différents. Elle a créé une agrégation de ces morulas et s'est aperçue que les souris issues avaient des caractéristiques des deux types de cellules, en particulier pigmentation et couleur de la robe (par exemple, blanc et gris).
L'étape suivante à été l'utilisation des cellules EC (Embryonial Carcinoma) de tératocarcinome qui étaient pluripotentes. Lorsqu'elles sont poussées à se différencier, elles sont capables de former n'importe quel tissu (os, peau…).
Faire exprimer le gène que l'on veut.
«La manipulation de l'embryon, sa ré-implantation étaient ainsi mises en place. On savait aussi faire des constructions, c'est-à-dire faire exprimer le gène que l'on veut. Grâce aux cellules EC, on pouvait réaliser des souris chimériques. Mais la transmission de la lignée germinale n'était toujours pas possible, c'est-à-dire qu'il n'était pas possible d'obtenir une descendance», poursuit le chercheur.
C'est ici que se situe le travail de Martin Evans. «Il a pris des blastocystes, les a cultivés de façon a réaliser des lignées de cellules totipotentes, les cellules ES pour Embryonic Stem (cellules souches embryonnaires). Ces cellules étaient réinjectées dans des blastocystes de façon à créer des souris chimériques, comme cela avait été réalisé avec les agrégations de morula. Il obtenait aussi des souris chimériques. Ce travail lui permettait d'obtenir des cellules et de réaliser des sélections dans des buts précis, sans passer par les souris. Le gain de temps a été énorme. Il devenait, par exemple, possible de réaliser un événement qui survient une fois sur un million, ce qui est pratiquement impossible en passant par des souris.»
Les chercheurs disposaient dorénavant de cellules ES dans lesquelles il était possible d'injecter un gène ou de réaliser des recombinaisons homologues. «C'est ici tout l'apport de Mario Capecchi et d'Oliver Smithies. En fait, d'un côté Evans a mis en culture les premières cellules ES avec lesquelles on a pu modifier l'expression de gènes. Alors que Capecchi et Smithies ont plutôt travaillé sur les constructions. Grâce à ces travaux, il est désormais possible de faire tout ce que l'on veut sur l'expression génique.»
Il est devenu possible de sélectionner un gène et de l'inactiver, créant des souris knock-out. «Le gène peut être invalidé dans toutes les cellules, on constate ce qui se passe quand il manque cette pièce et on juge de son importance. Globalement, on relève 10% de létalité embryonnaire, 10% de létalité postnatale. Il peut ensuite y avoir des conséquences sur un phénotype donné, dramatiques ou non.»
Il est également possible d'inactiver un gène de façon conditionnelle. Cette inactivation peut être spatiale ou temporelle. Spatialement, le gène peut être retiré de cellules déterminées, par exemple celles de la peau. Il est exprimé partout, sauf dans les kératinocytes. Il n'y a pas d'inférences dues à d'autres cellules sur le phénotype. De façon temporelle, l'inactivation peut être décidée dans toutes les cellules à partir ou jusqu'à un certain moment. Enfin, les deux modes peuvent être combinés en spatio-temporel.
Il est également possible de faire exprimer un gène dans des cellules où il ne l'est jamais. «Cela peut se voir dans le cas d'un gène exprimé dans les cellules embryonnaires qui ne l'est pas dans les cellules descendantes. L'expression de ce gène peut être retrouvé dans certaines tumeurs. On peut donc évaluer l'expression de ce gène de façon anormale dans des cellules arrivées à maturité: une tumeur, une affection génétique, une neurodégénérescence?»
Il est également possible de remplacer un gène par un autre. «Cela permet de déterminer si deux gènes fonctionnent de la même façon. Ce qui peut se voir dans certaines situations pathologiques.»
La pertinence du modèle.
Grâce à ces souris transgéniques, les chercheurs essaient de comprendre le fonctionnement de gènes et donc de protéines. De plus, ces rongeurs permettent de confectionner des modèles de maladies humaines. «Toute la question dans ce cas est la pertinence du modèle. Une souris n'est qu'une souris, mais elle a de nombreux avantages par rapport au travail sur l'humain dans la mise au point de nouvelles thérapies. Il s'agit de déterminer si le gène, la pathologie, l'histologie, l'altération de l'expression du gène sont identiques chez l'humain.» Une fois ce modèle établi, il faut lui attribuer un score de pertinence. Une étape encore lointaine, car les causes et les conséquences de certaines maladies sont mal connues.
Si le modèle déterminé comme bon est établi, il est possible d'appliquer une thérapie et d'évaluer comment augmenter son efficacité. Schématiquement, dans ce cas, le traitement est testé sur des cellules, ensuite sur des animaux, enfin, chez l'homme. Les limites de chacun de ces niveaux de test doivent être déterminées. «Mais ces systèmes ne répondront pas aux questions concernant un risque allergique, une toxicité aiguë ou chronique. A un moment, il faudra donc tester le traitement dans un contexte physiologique: un modèle mis au point ou bien directement un individu malade.» Les laboratoires médicaux recherchent ces modèles murins de maladies pour tester leur molécules.
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