LES PROGRES génétiques réalisés depuis la découverte de l'ADN, il y a une cinquantaine d'années, ont permis des avancées considérables dans les domaines du diagnostic, de la compréhension des maladies et de la mise au point de médicaments. L'étape qui se profile maintenant est de parvenir à choisir le « bon médicament » pour le « bon patient ». Cette médecine à la carte est le but de la pharmacogénétique, qui doit être distinguée de la pharmacogénomique (cf. encadré). La pharmacogénétique est l'étude des effets différents -attendus (thérapeutiques) ou indésirables- d'un médicament in vivo sur différents individus en fonction de la présence de variants génétiques (le génotype). Elle place donc le patient au centre de la problématique. Les approches utilisées sont génétiques, mais aussi biochimiques.
De nombreux gènes sont impliqués dans les réponses pharmacocinétiques ou dynamiques des médicaments, anesthésiques ou non. Ils peuvent être porteurs de variations génétiques au sein d'une population, les plus communes de ces variations étant des mutations ponctuelles de l'ADN dites « single nucleotide polymorphism » (SNP). Le polymorphisme génétique se définit par la présence de ces mutations chez plus de 1 % des individus d'une population. Dès lors qu'une mutation, à l'état hétérozygote ou homozygote, a des conséquences sur la fonction du gène, des effets sont observés sur les individus porteurs de ces variants génétiques. Ainsi, si un médicament est normalement métabolisé à 30 % sous forme active dans la population générale, il peut atteindre au même temps des concentrations supérieures, voire très supérieures chez les individus mutants hétérozygotes ou homozygotes (plus rares). En regard de ces modifications d'ordre cinétique, le même individu peut se révéler « sauvage » sur le récepteur à ce médicament, et donc avoir une réponse prévisible sans effet « toxique » ou exagéré. Mais, dès lors qu'il est également « mutant » sur le gène du récepteur à l'agent pharmacologique, il peut répondre ou à l'inverse ne pas du tout répondre à ce médicament (cf. figure). On comprend donc bien la complexité de l'analyse et des relations phénotype/génotype, surtout quand des SNP vont se transmettre en bloc -en haplotypes- allant soit dans le même sens (réponse biologique ou métabolisme accrus par exemple), ou de manière complexe dans des sens différents.
À l'heure actuelle, l'anesthésie n'est pas la spécialité la plus avancée dans le domaine de la pharmacogénétique. En effet, les médicaments utilisés sont de courte durée d'action, ont des marges thérapeutiques larges avec des effets indésirables ou toxiques relativement limités. Devant un patient qui présenterait une forme mutante d'un gène responsable de l'effet d'une drogue anesthésique, et que l'on n'arriverait pas à endormir, il suffirait d'augmenter la dose ou, au pire, de changer de médicament anesthésique. À l'inverse, un patient difficile à réveiller, parce que porteur d'un gène responsable d'un effet pharmacologique prolongé d'un médicament par retard à son élimination, requièrerait simplement une surveillance plus prolongée. Dans ces situations, qui sont relativement rares, l'opportunité de rechercher des mutations génétiques est discutable aujourd'hui, surtout si leur découverte n'a pas de conséquence thérapeutique.
@Normal:
Les applications potentielles.
Des travaux sur la pharmacogénétique en anesthésie commencent néanmoins à être publiés. L'une des maladies concernées est l'hyperthermie maligne, un accident très grave et redouté des anesthésistes, heureusement très rare, dont on est en train de démembrer le substratum génétique. Le gène du récepteur à la ryanodine (ryr1) a été associé à la susceptibilité à cet accident pharmaco-anesthésique favorisé par l'exposition à un curare, la succinylcholine, ou à des gaz anesthésiques halogénés. À ce jour, 17 mutations du ryr1 ont été identifiées. Un test biochimique, le test de la contracture, peut être réalisé chez les sujets ayant des antécédents personnels ou familiaux d'hyperthermie maligne. C'est un test lourd, qui nécessite un prélèvement musculaire. Dans la pratique actuelle, les médicaments halogénés, qui sont impliqués dans le déclenchement de l'hyperthermie maligne, sont évités chez les patients à risque. Il n'est pas encore question de le remplacer par le test génétique dont le rapport bénéfice/risque et bénéfice/coût est insuffisant.
Des polymorphismes génétiques ont également été décrits sur les gènes impliqués dans le métabolisme de certains curares, en particulier de la succinylcholine et du mivacurium, qui sont éliminés par des cholinestérases. Il existe un risque de curarisation prolongée chez les patients présentant des déficits en ces enzymes. Comme pour l'hyperthermie maligne, un substratum génétique a été identifié. Mais, là encore, remplacer les dosages biochimiques disponibles par les tests génétiques est un cap qui n'a pas été franchi pour l'instant. En ce qui concerne les accidents allergiques dus aux curares, une étude multicentrique française est en cours. Les auteurs recherchent, sur plus de 150 patients, les polymorphismes génétiques sur différents gènes candidats. Les résultats de la première étape de ces travaux - l'étude d'association - seront prochainement disponibles.
Enfin, il existe dans la littérature quelques publications sur la pharmacodynamie des médicaments anesthésiques, fondées notamment sur l'étude des récepteurs Gaba (agents hypnotiques) et opioïdes (morphiniques). Ainsi, un polymorphisme sur le récepteur opioïde mu a été décrit et l'association de mutations sur ce récepteur avec des besoins plus ou moins importants en morphiniques pour soulager des douleurs de même intensité est en cours d'identification. De tels résultats trouveront bien sûr des perspectives très larges dans un champ qui concerne aussi l'anesthésie, celui de la douleur chronique.
@Normal:
Médecine périopératoire.
Beaucoup plus nombreux que ceux portant sur la pharmaco-anesthésie des médicaments d'anesthésie à proprement parler se trouvent tous les travaux conduits dans le champ de la médecine périopératoire, pour laquelle les anesthésistes-réanimateurs sont bien entendu en première ligne. Ils portent sur la recherche de gènes de susceptibilité à des événements « indésirables ». De nombreux gènes et leurs mutations impliqués dans la réaction inflammatoire et le sepsis ont été identifiés. Ils pourraient expliquer une incidence différente de complications inflammatoires et infectieuses post-opératoires entre les patients, faisant mettre en place des stratégies de prise en charge « à la carte ». Les facteurs génétiques de thrombophilie commencent aussi à être connus. Les malades porteurs d'une mutation les mettant en situation de risque accru de maladie thromboembolique postopératoire pourront bénéficier d'interventions thérapeutiques plus « agressives » ou plus prolongé. Enfin, le saignement, la réactivité vasculaire ou la douleur font aussi l'objet de recherches pharmacogénétiques.
La recherche de mutations génétiques impliquées dans les réponses individuelles aux médicaments devra conduire à des modifications très sensibles dans leur choix et leur administration (réponse biologique beaucoup plus significative, réduction majeure des effets indésirables) pour que ces analyses, aujourd'hui très onéreuses, soient pratiquées en routine. Les traitements de longue durée ou à haut risque d'effet indésirable grave, comme c'est le cas par exemple en cancérologie ou en cardiologie, sont de bons candidats à de telles analyses. En revanche, l'anesthésie-réanimation restera pour quelques années encore en retrait dans ce domaine. Cependant, la réduction des coûts de ces techniques, associée à la rapidité et au screening à haut débit du génome par l'apport de nouvelles technologies, font entrevoir des perspectives très intéressantes pour les 5 à 10 prochaines années.
D'après un entretien avec le Dr Alexandre Mignon (hôpital Cochin, Paris)
Pour en savoir plus
-Lindpaintner K. The impact of pharmacogenetics and pharmacogenomics on drug discoverys. Nature 2002 ; 1 : 463-9.
-Guttmacher AE et al. Welcome to the genomic Era. NEJM 2003 ; 349(10) : 9968.
-Evans AE, Relling MV. Pharmacogenomics : translating functional genomics into rational therapeutics. Science 1999 ; 286 : 487-91.
-Nelson TE et al. Genetic testing for malignant hyperthermia in North America. Anesthesiology 2004 ; 100(2) : 212-4.
La pharmacogénomique
La pharmacogénomique est l'étude des effets différents des médicaments in vivo ou in vitro sur un grand nombre de gènes d'un même individu ou groupe d'individus comparables. Ainsi, contrairement à la pharmacogénétique, c'est le médicament qui est au centre de tout. L'évaluation se fait par des profils d'expression des gènes (ARN ou protéine), que l'on est aujourd'hui capable de mettre sur des cartes à puce. La pharmacogénomique constitue surtout un outil de recherche utilisé pour le développement de nouveaux médicaments.
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