LE VENDREDI 21 SEPTEMBRE 2001, à 10 h17, à Toulouse, une explosion provoque une secousse équivalant à un séisme de 3,4 degrés sur l’échelle de Richter. Un attentat ? Dix jours après la destruction des tours de New York, c’est la première idée qui vient à l’esprit. Non, il s’agit d’un accident industriel. Une catastrophe à l’échelle de la ville : l’usine AZF est proche de nombreux quartiers d’habitation, d’hôpitaux, d’écoles et d’un campus universitaire.
L’Institut de veille sanitaire (InVS), avec la Drass Midi-Pyrénées, met immédiatement en place un dispositif d’évaluation des risques et des conséquences sanitaires à court, moyen et long terme, le premier du genre (voir encadré). A l’heure du bilan définitif, cinq ans après la catastrophe, ses résultats permettent de mesurer l’impact d’un tel accident sur la population et de souligner l’importance d’une prise en charge prolongée des conséquences psychologiques. AZF fabriquait des engrais de type ammonitrate. L’explosion est à l’origine de rejets de polluants dans l’air, l’eau de la Garonne et les sols. A proximité du site, on observera des effets respiratoires (trachéo-bronchites) et oculaires de type irritatif transitoires (pas plus de six semaines). On ne relèvera pas de risque lié à l’ingestion de polluants.
Séquelles auditives.
En ce qui concerne les conséquences physiques, le bilan initial fait état de 30 morts et de plus de 2 500 blessés. Il n’y aura pas de décès supplémentaire, mais le nombre de personnes victimes de traumatismes physiques devra être revu à la hausse. Dans la zone proche de l’explosion, un élève sur cinq, un habitant sur dix et 15 % des travailleurs présents ont déclaré avoir été blessés. Si la majorité des blessures sont légères, les séquelles ne sont pas négligeables, surtout les séquelles auditives, que rapportent, dix-huit mois après l’accident, près de 7 % des habitants de la zone proche. De même pour les salariés d’EDF qui se trouvaient à moins de 1,7 km de l’usine : 68 % ont eu une perte auditive de 10 décibels ou plus à au moins une oreille, aux fréquences de 2 000 à 6 000 hertz. Ces atteintes auditives sont parfois passées inaperçues et plus de 30 % des salariés travaillant à proximité et ayant souffert après l’explosion de signes fonctionnels (douleurs, bourdonnements, vertiges...) n’ont pas consulté spontanément.
Un impact beaucoup plus immédiat a été la hausse du nombre d’infarctus (multiplié par trois dans les cinq jours suivant l’explosion). Une augmentation liée au stress important de l’accident, puisque ni la pollution atmosphérique ni les constantes météorologiques n’étaient modifiées.
Les plus vulnérables.
Les conséquences psychologiques sont encore plus fréquentes. Elles se mesurent, dans les semaines qui suivent l’explosion, par 5 600 consultations pour des symptômes apparentés à un stress aigu et par un pic de traitements psychotropes chez des personnes qui n’en avaient jamais pris auparavant. Dans la zone proche, 21 % des résidents y ont recours et, parmi eux, un sur deux le font encore après dix-huit mois.
Les élèves de sixième sont nombreux à déclarer un changement de comportement, qu’ils soient devenus plus calmes ou plus agités ; 21 % évoquent des symptômes dépressifs. Près de la moitié des parents, dans la zone proche, estiment pour leur part, dix-huit mois après l’explosion, que leurs enfants ont un comportement plus craintif ou ont plus souvent des problèmes d’endormissement.
Les symptômes dépressifs sont déclarés le plus fréquemment par les personnes les plus exposées (adultes proches du site, enfants blessés ou ayant un proche blessé), mais aussi par celles qui ont vécu le plus difficilement les conséquences différées de l’accident (difficultés financières, séquelles physiques, désorganisation des services du quartier, manque de soutien social pour les femmes).
Beaucoup (jusqu’à un tiers des élèves de sixème de la zone proche) souffrent de symptômes de stress posttraumatique. Ces symptômes sont plus fréquents chez les plus exposés et chez les plus vulnérables. Dans la conclusion de son bilan, l’InVS note que les populations habitant à proximité des sites industriels à risque sont souvent des populations économiquement défavorisées et que ce sont elles «qui paient le plus lourd tribut sanitaire si un accident se produit»: «Tout devrait donc être fait pour répondre aux besoins des populations les plus vulnérables afin de les aider à retrouver le plus rapidement une vie normale.» Toutefois, ajoute pour finir l’étude, «la prévention primaire de ce type d’événement réside bien en amont, dans la maîtrise du développement de l’urbanisation autour des sites industriels».
Enquêtes et suivi
Pour la première fois en France, un dispositif d’évaluation épidémiologique des conséquences sanitaires d’une catastrophe a été mis en place, par l’Institut de veille sanitaire. Piloté en collaboration avec la Drass par la Cellule interrégionale d’épidémiologie Midi-Pyrénées, il a réuni de nombreux partenaires locaux.
Pour l’étude des conséquences à court terme, ont été lancées :
– une évaluation des risques sanitaires liés aux rejets toxiques dans l’environnement ;
– une analyse de toutes les informations disponibles dans les systèmes d’information sanitaire.
Pour les conséquences à moyen et à long terme, trois séries d’enquêtes par questionnaire ont été conduites dans une zone proche (un rayon de 3 km) et une zone éloignée :
– 1 477 élèves de 11 à 17 ans (neuf mois après l’explosion) et 644 élèves de sixième (seize mois après l’explosion) ont rempli un questionnaire en classe ;
– 13 764 sauveteurs et travailleurs de l’agglomération ont répondu à un questionnaire postal douze à quinze mois après l’explosion ;
– 1 191 adultes résidant à Toulouse au jour de l’explosion ont répondu à un questionnaire en face-à-face.
S’y ajoute un suivi pendant cinq ans de 3 000 travailleurs et sauveteurs volontaires.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature