C'est avant tout le résultat remarquable d'un travail honnête. Peut-on mieux qu'Abbas Kiarostami, cinéaste iranien inspiré et reconnu - « le Goût de la cerise » a reçu la palme d'or à Cannes en 1997 -montrer la réalité du SIDA en Ouganda et, par là, amener le monde occidental à compatir ?
Dans le domaine de la maladie, particulièrement de celle-ci, le SIDA, qui fait des ravages - et loin de nous -, la compassion n'est-elle pas l'étape première, le début de l'engagement auprès de celui qui souffre ?
Enfin, qu'est-ce que la compassion ? Si elle consiste à avoir la capacité de se mettre à la place de l'autre pour mieux imaginer sa souffrance, mais aussi ses ressources pour lutter, pour vivre tout simplement, Abbas Kiarostami aura aidé ses spectateurs à éprouver de la compassion. Il aura aussi aidé le peuple ougandais.
Le Fonds international de développement agricole (FIDA), une agence spécialisée des Nations unies surnommée la banque des pauvres, l'a contacté pour cela : « Cher Monsieur Kiarostami, nous espérons, grâce au travail d'un des meilleurs réalisateurs du monde moderne, être en mesure de sensibiliser les gens dans le monde sur le caractère dévastateur de la tragédie du SIDA. »
En 2000, plus de 15 millions d'enfants avaient perdu au moins un parent du SIDA. En 2010, ils seront 44 millions, selon l'association Orphelins SIDA international qui appelle au parrainage d'orphelins du SIDA*. Un million et demi de ces orphelins vivent en Ouganda, l'un des pays les plus touchés par le fléau, sur un continent qui compte plus de 25 millions de malades ou de séropositifs. En Ouganda, pas une région, pas un village n'est épargné. Dans la région du lac Victoria, par exemple, les orphelins représentent 30 % des habitants.
On dit, par habitude, que « les chiffres parlent d'eux-mêmes ». Des chiffres, les Nations unies ou autres organisations internationales en ont plein leurs archives. Elles les ont publiés. L'opinion s'est émue. Puis s'est rendormie. Dans son film, Abbas Kiarostami n'a pas recours aux chiffres.
On dit, faute de mieux, qu'il « faut des images fortes ». Entendez des cris et des larmes : la souffrance visible. Certains documentaristes s'y sont essayés. Cela n'aide pas l'Afrique. Pour le monde occidental, c'est trop : trop de malades, trop d'orphelins, trop de pauvreté et le sentiment de l'impuissance. Pour l'Afrique, ce n'est pas honnête.
La capacité de lutter
L'Afrique souffre, pleure et rit. Elle meurt et elle vit. Elle porte en elle la force de ses communautés, de ses familles reconstituées. Abbas Kiarostami nous montre un Ouganda ravagé par le SIDA, déstabilisé par ses millions de morts, mais un Ouganda vivant, résistant, imaginatif et optimiste. Il nous fait comprendre qu'il y a chez les femmes, chez les enfants, chez les hommes, une capacité à faire face et à lutter.
En Ouganda comme ailleurs, le jour se lève le matin et la nuit tombe le soir. Entre-temps, les enfants qui le peuvent vont à l'école. Les femmes préparent les repas et s'activent dans leurs habitations. Les hommes, quand il en reste dans un village, travaillent. Les femmes rient et dansent. Les enfants font des blagues, gesticulent devant la caméra. Ils se marrent comme tous les enfants du monde. Malgré le SIDA, malgré le paludisme qui emportent leurs proches. On fait avec, parce qu'il le faut. Pas le choix. Un homme emporte sur le porte-bagage de son vélo un petit corps frêle empaqueté dans un carton : pour cet enfant du centre de soins de Masaka, c'est fini. Dernier voyage sur un vélo au milieu du train-train quotidien des autres. C'est le spectacle banal de la rue.
Dans le centre de soins de Masaka, on soigne. A l'extérieur du centre, on fabrique des cercueils. La tragédie du SIDA demande que l'on s'organise, dans la mort comme dans la vie.
Tout est disproportionné : la vieille Banadetta a 72 ans. Ses 11 enfants sont morts aujourd'hui, mais elle a la charge de 35 neveux et petits enfants. Une autre veuve de 60 ans doit venir en aide à six de ses 12 enfants et quatre de ses petits-enfants. Dans un village, la plupart des hommes de 15 à 45 ans sont morts. Sous l'égide d'une organisation créée par des femmes ougandaises, UWESO, soutenue par le FIDA, les mères et les grand-mères s'organisent, obtiennent des prêts et arrivent à tenir des comptes.
En dix jours passés en Ouganda en avril 2000, Abbas Kiarostami et son assistant Seifollah Samadian ont largement relevé le défi lancé par le FIDA : témoigner aux yeux du monde d'une Afrique joyeuse, malgré la souffrance, d'une Afrique vivante, malgré les morts, d'une Afrique capable de lutter à condition qu'on l'aide.
* Tél. 01.44.93.29.14 ou orphelins-sida-international@wanadoo.fr
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