:DE NOTRE ENVOYE SPECIAL AU SENEGAL
« UN JOYAU ! » Ce matin, pour l'inauguration officielle, la formule est revenue à plusieurs reprises dans la bouche des chefs coutumiers et des édiles qui sont intervenus à la tribune dressée devant la maison médicale Pierre-Fabre. Un joyau constitué de cases blanches décorées de carrelages colorés, coiffés de toits de chaume traditionnels, avec des massifs plantés de bougainvilliers et de flamboyants, au beau milieu de la brousse. A dix heures de route à l'est de Dakar, dans le secteur très déshérité de Tambacounda, sur un département aussi pauvre que faiblement peuplé, les habitants vivent de la monoculture bananière, dans des villages disséminés parmi les eucalyptus, les tecks et les fromagers.
Une vie très exposée aux maladies infectieuses et surtout à une forte létalité des femmes en couche et des enfants en bas âge : « Nous avons pris conscience de longue date que la mortalité materno-infantile est ici très supérieure à la moyenne nationale, témoigne le Dr M'Bayang Niang, professeur de neurophysiologie au CHU de Dakar. Il y a bien quelques cases santé, comme à Missira (30 km de Wassadou) ou à Dialakoto (20 km), mais elles sont dépourvues d'équipements médicaux et de personnels qualifiés. Nous avons donc pris notre bâton de pèlerin pour obtenir des aides internationales. »
Malnutrition, paludisme et grossesses multiples.
« C'est impressionnant, confirment Annick et Jean Saugier, pharmaciens biologistes, volontaires de l'association Le Kinkeliba, qui effectuent régulièrement des missions dans la région depuis 2001 : les anémies atteignent ici des taux records, jusqu'à 5 % de globules rouges, des seuils qui sont chez nous incompatibles avec la vie, et qui s'expliquent par les effets conjugués de la malnutrition, du paludisme et des grossesses multiples. »
S'y ajoutent de nombreux cas de fistules vésico-vaginales, opérés à l'hôpital de Tambacounda, grâce en particulier à des volontaires français, comme les Drs Alain Truelle et Georges Isserlis (tous deux membres du Kinkeliba).
« Grâce à la maison médicale, se félicite le Dr Isserlis, on va pouvoir suivre beaucoup mieux ces patientes et combattre des infections postopératoires très fréquentes. »
Car, sans être à proprement parler un hôpital, la nouvelle structure est dotée de moyens médicaux étendus : un pavillon de médecine (avec le bureau du médecin, la pharmacie, le laboratoire, la salle des pansements) ; une maternité (avec salles de consultation, d'accouchement, de repos et chambre de garde) ; un pavillon des spécialités (salle de consultation polyvalente, cabinet dentaire et OPH/ORL, salle d'opération pour petites interventions sous anesthésie loco-régionale, salle de réveil, salle de stérilisation).
Pièces spacieuses et claires, ventilées, énergie électrique fournie par un système mixte (énergie solaire + groupes électrogènes), alimentation en eau potable grâce à un puits de 250 m foré par la fondation Veolia Environnement, les équipements correspondent aux standards d'une infrastructure en milieu urbain. Une performance, alors qu'on est à des dizaines de kilomètres de la première agglomération, privé de tous les circuits de distribution hydrauliques et énergétiques.
C'est Le Kinkeliba (ONG fondée par le Dr Gilles Degois en 1995) qui a tout d'abord prêté l'énergie et le savoir-faire de ses bénévoles ; la fondation Pierre-Fabre l'a rejoint en 2003, finançant l'essentiel (près de 60 %) du budget de la construction (500 000 euros). Comme le souligne l'omniprésent et infatigable directeur général de la fondation, Philippe Bernagou, « c'est l'acte du cœur d'un homme de générosité et de don », Pierre Fabre, l'industriel du médicament qui, depuis son QG de Castres (Tarn), pilote ces actions internationales humanitaires en faveur de l'accès aux soins de qualité et aux médicaments dans les pays en développement.
Pour que l'aventure de Wassadou réussisse, les dons sont donc d'abord venus de France : de Castres, puis de toutes les régions, avec le concours des médecins volontaires appelés à la rescousse par le Dr Gilles Degois. Le président Abdoulaye Wade a salué leur « abnégation », cet « exemple de dévouement et de fidélité au serment d'Hippocrate ».
La générosité a été aussi l'affaire des villageois eux-mêmes : Peuls, Mandingues et autres ethnies réunies, ils ont offert la terre, défriché plusieurs hectares de brousse, participé à toutes les étapes d'un chantier comme jamais, de mémoire de planteurs de bananes, on n'en avait vu dans la région. Et dès avant l'inauguration, à partir du mois d'octobre, c'est un Sénégalais, le Dr Valentin Zida, qui a pris le commandement médical des opérations. Ce généraliste tout feu tout flamme de 47 ans, formé à Dakar, a fait de longue date le choix d'exercer en brousse. Pendant sept ans, il a dirigé à Sinthian la première maison médicale réalisée par Le Kinkeliba au Sénégal oriental. « Ici, nous changeons d'échelle, constate-t-il, avec un infirmier diplômé et deux agents de santé à temps plein, des spécialistes, dentistes, biologistes et pharmaciens qui passent régulièrement pour des vacations. » Une vingtaine de patients viennent consulter chaque jour. Et le Dr Zida pronostique une soixantaine d'actes quotidiens en vitesse de croisière, tablant sur le concours d'un confrère à temps plein, dès que la barre des 40 actes sera franchie.
« C'est un défi, résume-t-il. Mais je me rappelle qu'à Sinthian personne non plus n'y croyait. Et je veux croire que le rêve sera encore possible. »
Révolution culturelle.
Un rêve en forme de « révolution culturelle », n'hésite pas à dire le Dr Degois. « Ce sont les villageois eux-mêmes, à partir de leurs antiques traditions de solidarité, qui ont créé leur mutuelle de santé. Des cotisations mensuelles sont collectées tous les mois auprès de plus d'un millier de planteurs de bananes. Ainsi se bâtit un nouveau système de solidarité médicale. »
En parallèle, tout un environnement éducatif (ferme-école pour produire des cultures nouvelles, alphabétisation des adultes, maisons de jeunes) et économique (épicerie, atelier mécanique, verger, cultures de plantes médicinales) devrait voir le jour et apporter des compléments de ressources.
A la clé, l'équilibre financier de la maison médicale Pierre-Fabre conditionnera la pérennité de de la structure, au-delà des cinq ans de prise en charge du budget de fonctionnement. Président du conseil d'administration, Philippe Bernagou se réserve d'ajuster les premiers forfaits tarifaires de consultations, qui ont été fixés à 1 000, 3 000 et 5 000 francs CFA (1,5, 3 ou 7,60 euros), selon les traitements à mettre en œuvre. Si l'équilibre financier est bien au rendez-vous, l'axe Castres-Wassadou devrait passer à l'histoire. Et la maison médicale Pierre-Fabre, selon le vœu d'Abdoulaye Wade et de Philippe Douste-Blazy, servira de référence, prototype de la nouvelle coopération médicale entre l'Afrique et la France.
100 % privée
La maison médicale Pierre-Fabre est le fruit d'une coopération exclusivement privée entre partenaires issus des secteurs associatifs et industriels :
- la fondation Pierre-Fabre : reconnue d'utilité publique en 1999, elle vient de recevoir le Mécène d'or 2005 de l'action humanitaire internationale pour ses programmes en Afrique (Bénin, Sénégal, République de Guinée-Conakry, Madagascar) et d'Asie (Cambodge et Laos) ;
- Le Kinkeliba, association d'aide au développement médical en Afrique de l'Ouest, créée en 1995 par le Dr Gilles Degois, elle assure des missions de soins, de formation de personnel de santé, de réalisation de structures médicales et des missions de santé publique dans plusieurs régions du Sénégal, en particulier à Sinthian, Saal et dans la haute vallée de la Gambie ;
- la fondation d'entreprise Veolia Environnement aide, en France et à l'étranger, des actions de développement durable qui privilégient la solidarité, l'emploi, l'environnement et le cadre de vie ;
- l'entreprise de travaux publics Fougerolles-Sénégal.
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