VOILÀ UNE BONNE OCCASION de réfléchir sur ce que M. Bush a fait ou n'a pas fait pendant son premier mandat. Il faut partir d'un constat : sa réélection a été une surprise pour tous les non-Américains ; l'analyse qui prévaut dans le monde, c'est que le bilan de M. Bush est catastrophique. Il a incontestablement ravivé l'antiaméricanisme ; il est responsable de déficits (commercial et budgétaire) colossaux, de la chute du dollar, d'une politique financière au bord de l'abîme ; les Etats-Unis peuvent encore perdre la partie en Irak, c'est-à-dire que le risque existe qu'ils abandonnent un pays en proie à la guerre civile ou même qui se transforme en république islamiste sur le modèle iranien. Auquel cas, l'Amérique perdrait non seulement la guerre, mais l'avantage qu'elle s'est octroyé en implantant ses forces en Afghanistan et en Irak.
Enfin, les mesures que les Etats-Unis ont été contraints d'adopter au lendemain du 11 septembre leur ont coûté une partie de leur âme : il est vrai que les droits de l'homme n'ont été respectés ni à Guantanamo ni à Abou Ghraïb, que des visas sont refusés à d'honnêtes étrangers, que les musulmans d'Amérique sont surveillés et contrôlés.
Justifié par l'histoire ?
Ce qui n'empêche pas M. Bush de déclarer à « Time » qu'il défend la liberté. Certes, il ne s'attend pas à être acclamé de son vivant. Mais il semble penser que l'histoire saura reconnaître en lui un grand chef d'Etat. Ce n'est pas tout à fait impossible ; et s'il reste dans les mémoires comme l'égal d'un Truman, par exemple, ce sera principalement pour son obstination, un défaut qui lui a valu la détestation du monde. « Never complain, never bargain » (ne jamais se plaindre, ne jamais marchander).
Mais cette obstination, qui n'a jamais cédé ni aux dialogues amicaux qu'il a eus avec Tony Blair ni aux affrontements qu'il a eus avec Jacques Chirac, peut être considérée aussi comme de la persévérance. Ce qui expliquerait en outre que M. Bush ne reconnaisse jamais ses erreurs.
Exemple : la question de savoir s'il fallait aller ou non en Irak est désormais périmée. Les forces américaines y sont et la nouvelle question porte sur ce qu'elles y font et si M. Bush peut tirer de l'invasion des motifs de satisfaction. Certes, le tableau est désastreux et les élections générales vont se dérouler fin janvier dans une insécurité totale. Certes, de grossières erreurs américaines, comme la dissolution de l'armée de Saddam Hussein et surtout l'insuffisance des moyens engagés sur place, ont été commises. Certes, l'incurie du Pentagone et la faiblesse du renseignement ont causé de sérieux revers aux Etats-Unis. Mais on aura remarqué, parfois avec agacement, que M. Bush n'a limogé que peu de personnes et n'a pas demandé à Donald Rumsfeld de démissionner. Si Colin Powell va partir, ce sera de son plein gré. Pourquoi le président est-il aussi indulgent avec son entourage ?
Coureur de marathon.
Parce qu'un changement de personnel traduirait les doutes du président sur la politique à conduire. Or dans les moments les plus critiques de son premier mandat, il a dit sans désemparer que tout allait bien. Il n'a reconnu ni ses erreurs tactiques, ni ses défaites, ni les coûts de la guerre en vies humaines et en dollars, ni le risque de créer en Irak la situation qu'il était censé corriger et sûrement pas la futilité d'une aventure dont il aurait pu faire l'économie.
POUR LE MOMENT, BUSH PEUT DIRE QUE SON PROJET NÉOCONSERVATEUR FONCTIONNE
Bush, c'est un coureur de marathon. Il pense que l'Amérique peut absorber beaucoup de chocs, panser plusieurs plaies à la fois, frôler l'accident de parcours si nécessaire. Et sur ce point, il a raison. Son pays s'est relevé très vite après avoir reçu des coups terribles, comme Pearl Harbor ou la guerre du Vietnam. Bush est convaincu que, à terme, on lui donnera raison.
On ne peut pas nier, d'ailleurs, que la guerre d'Afghanistan a été conduite avec des résultats relativement satisfaisants : Al Qaïda et les talibans sont toujours présents, mais ne gênent pas la reconstruction du pays qui vient de s'offrir un luxe inouï, des élections libres et la reconduction de Hamid Karzaï comme président. La partie n'est pas gagnée, mais elle n'est sûrement pas perdue par les Américains.
Elle n'est pas perdue non plus en Irak (en tout cas, pas encore) où Saddam Hussein a été capturé et où, en dépit des violences indescriptibles commises par les insurgés sunnites, des élections vont avoir lieu auxquelles vont participer tous les chiites et tous les Kurdes ; de sorte que les sunnites, et notamment les anciens baassistes de Saddam, se demandent si, en s'abstenant, ils ne vont pas rater le coche et laisser la totalité du pouvoir à ceux qui votent et représentent déjà une majorité.
Enfin, M. Bush a été très vivement critiqué pour son inertie au Proche-Orient et c'est sur un ton comminatoire que les Européens (Grande-Bretagne comprise) l'ont sommé de perser sur Ariel Sharon pour qu'Israël engage des négociations avec les Palestiniens. N'ayant rien fait, M. Bush a obtenu bien plus que ce que les Européens pouvaient attendre d'Israël : une promesse d'évacuer Gaza, assortie de la formation d'un gouvernement de coalition pour garantir cette évacuation et des négociations avec les Palestiniens ; des élections libres en Palestine avec l'élection probable de Mahmoud Abbas qui a cette rare particularité d'avoir dénoncé l'intifada et les souffrances qu'elle cause au peuple palestinien, ce que tous les « pacifistes » qui faisaient le pélérinage de Ramallah n'ont jamais admis.
Abbas sera intransigeant.
Aujourd'hui, c'est ce Palestinien-là, dont le discours sur l'intifada est identique à celui d'Israël, qui va négocier avec le gouvernement israélien. On est curieux de savoir ce qu'en pensent les adorateurs étrangers d'Arafat, comme José Bové. Peut-être conseilleront-ils à Abou Mazen (alias de M. Abbas) de poursuivre la guerre, de faire tuer encore plus de Palestiniens au nom de la cause sacrée ?
Mahmoud Abbas ne transigera en aucune manière sur les revendications palestiniennes ; il maintiendra même les exigences du partage de Jérusalem et du droit au retour. Il aura beaucoup de problèmes avec les factions extrémistes de son propre camp ; il n'a pas en Sharon un interlocuteur facile, d'autant que le chef du gouvernement israélien doit faire face à la révolte des ultras.
Une chose en tout cas est sûre : Bush a eu raison de ne pas vouloir traiter avec Arafat. Il a eu raison d'attendre. Aujourd'hui, il associe étroitement les Egyptiens aux préparatifs des négociations au Proche-Orient ; il a obtenu du Caire un accord israélo-égyptien de création de zones franches dont les productions seront vendues sans taxes douanières aux Etats-Unis. Quelque chose bouge au Proche-Orient, quelque chose de sérieux, de profond, que le crime, comme d'habitude, peut anéantir, mais qui peut rendre désuète la révolution par les armes du Hamas et du Djihad. Et le pilote discret de ce courant, c'est Bush.
Lequel peut dire que, en dépit de ses sanglantes conséquences, la vision des néoconservateurs est toujours d'actualité : l'Amérique est en Afghanistan et en Irak, et représente une menace pour les régimes dictatoriaux de Syrie et d'Iran ; elle a maté Mouammar Kadhafi en Libye et s'emploie, d'ailleurs généreusement, à le réintégrer dans le monde des pays « décents » ; elle va jeter des trombes d'eau sur l'incendie israélo-palestinien et, le moment venu, elle promettra beaucoup aux deux peuples en échange de la paix. Cette paix que ne font jamais les pacifistes, mais les belligérants, pour ne pas dire les belliqueux.
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