« L'Emploi du temps », de Laurent Cantet

Un homme en crise

Publié le 20/11/2001
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Romand, c'est cet homme qui a réussi pendant dix-huit ans à faire croire à sa famille qu'il était médecin et travaillait pour l'OMS à Genève et a fini par tuer femme, enfants et parents pour qu'ils ne découvrent pas la vérité. L'affaire a fourni la trame d'un roman, « l'Adversaire », d'Emmanuel Carrère, que Nicole Garcia est en train d'adapter au cinéma, et elle est la base du film de Laurent Cantet.

Du moins de son point de départ, dans la région Rhône-Alpe, non loin de la frontière suisse : licencié de son poste de consultant financier, Vincent fait croire à sa femme qu'il a volontairement changé de travail et est devenu fonctionnaire international à Genève. Mais le personnage est loin, sans doute, de Romand. Vincent, du moins c'est ce qu'il expliquera, a été licencié parce qu'il n'arrivait plus à jouer le jeu de la responsabilité professionnelle. Il lui est plus facile, semble-t-il, de mentir complètement en s'inventant de nouvelles fonctions que de se mentir à lui-même en s'investissant dans des rites sociaux et des tâches qui ne signifient plus rien pour lui. C'est un homme en crise dont nous ne saurons pas totalement les pensées profondes puisque Cantet ne nous montre que ce qu'il fait et ce qu'il dit, sans scènes explicatives qui, il est vrai, auraient alourdi le propos. Vincent ne s'anime que quand il évoque sa vie inventée, sinon il traîne une sorte d'indifférence à vivre que son entourage a du mal à interpréter.
Que l'homme, aujourd'hui, n'existe que par ce qu'il est au travail et par le travail, c'est ce que dénonce une nouvelle fois Laurent Cantet. Une constatation d'ailleurs, plus qu'une dénonciation, puisqu'il ne semble y avoir d'autres solutions que de rentrer dans le rang ou, comme Romand, de faire un carnage. Cantet évoque à nouveau aussi, les relations père-fils, doubles cette fois, puisque Vincent, qui supporte difficilement les pourtant indispensables interventions de son père, détourne l'autorité paternelle traditionnelle face à son aîné en proie aux affres de l'adolescence.
Si l'on se sent moins libre d'applaudir « l'Emploi du temps » que « Ressources humaines », c'est à cause de l'ombre de Romand. Il eut mieux valu sans doute effacer les points communs objectifs entre les deux histoires. Mais le personnage que joue avec force et finesse Aurélien Recoing finit par s'imposer, dans de belles scènes avec la subtile Karine Viard ou l'étonnant Serge Livrozet.

R. C.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7014