Le soixante-dixième anniversaire de la libération des prisonniers détenus dans les camps de concentration a eu lieu vingt jours seulement après l’attaque contre Charlie Hebdo et dix-huit après l’assassinat de quatre personnes dans l’Hyper Cacher. Ce n’est qu’une coïncidence. Le chef de l’État avait prévu de longue date de commémorer le 27 janvier 1945 et d’aller en Pologne à cette occasion. Ce n’est pas sans un serrement de cœur que les Français juifs observent ce raccourci historique. Sept décennies plus tard, on tue encore des juifs parce qu’ils sont juifs. Cependant, si la haine anti-juive est à peu près la même, irrationnelle, envahissante, absolue, elle ne naît pas dans les mêmes âmes. Il faut désormais distinguer le racisme de l’antisémitisme, qui devient un problème spécifique, car il est colporté le plus souvent par ceux-là mêmes qui sont victimes du racisme. C’est pourquoi les Français juifs assistent au phénomène avec douleur et surprise.
François Hollande n’a éludé aucune des questions qui prêtent à polémique. Il a mentionné les enfants ou adolescents qui, dans les écoles et lycées, ont refusé de participer à la minute de silence et il a promis qu’un surcroît d’effort de persuasion serait fourni par les enseignants, que la discipline ne ferait pas d’exceptions. Il a cité les les chiffres les plus récents qui montrent que le nombre d’actes antisémites a doublé en 2014 et que les agressions physiques ont augmenté de 130 %. Il a ignoré l’argument, souvent invoqué dans les médias, et en vertu duquel le conflit israélo-palestinien nourrit la haine des musulmans contre les juifs. Certes, ce conflit fait beaucoup de victimes du côté palestinien. Mais il n’a aucune commune mesure avec ce qui se passe en Syrie, en Irak, en Libye, au Yémen et même en Égypte, tous ces pays où des musulmans sont tués par centaines de milliers par d’autres musulmans. Que l’on sache, les massacres commis par Al-Qaïda et par l’État islamique ne semblent provoquer aucune émotion visible en France. En revanche, le déni du terrorisme, l’obsession complotiste (ce seraient les juifs qui organiseraient les attentats), le néo-négationnisme ont libre cours sur Internet et expliquent les nombreuses rebellions lors de la minute de silence.
Inquiétude et perplexité.
Je ne crois pas du tout que, si les Français juifs songent à quitter la France (et pas toujours pour aller en Israël), c’est parce qu’ils ont peur. Aucun pays n’est sûr à cent pour cent. Ce qui les pousserait à partir, c’est le sentiment qu’ils ne sont plus citoyens à part entière, qu’ils forment un groupe différent désigné comme cible à la vindicte de ceux qui les considèrent comme des ennemis, alors qu’ils donnent tous les jours et à tous les niveaux des gages de leur bonne volonté dans les relations qu’ils entretiennent avec les musulmans. Le président de la République a lui-même posé une très bonne question : pourquoi, en France et de nos jours, faut-il protéger les écoles juives et les synagogues ? Pourquoi l’accès aux lieux de culte juifs devrait-il être surveillé ? Pourquoi doivent-ils être transformés en bunkers ? M. Hollande regrette la tension qui règne en France, mais rappelle que la protection des citoyens juifs est indispensable. Et il fait son devoir en demandant aux juifs de ne pas céder à la tentation du départ, car ce départ donnerait une victoire à l’antisémitisme.
Il ne pouvait pas mieux s’exprimer. Les Français juifs avaient besoin d’un peu de réconfort. Car ils constatent avec inquiétude et perplexité que la menace des années trente réapparaît 70 ou 80 ans plus tard. Ce n’est jamais fini.
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