NÉ DANS une famille de juifs russes émigrés au Chili, Alejandro Jodorowsky est connu en France pour avoir créé avec Topor et Arrabal le mouvement Panique. On est heureux de le retrouver, dirigeant son fils Brontis Jodorowsky, longtemps l’un des excellents comédiens de la troupe d’Ariane Mnouchkine.
«Le Gorille » est une transcription pour aujourd’hui, avec évocation de téléphones portables et de téléviseurs, de la nouvelle de Franz Kafka « Rapport pour une académie ». On y entend un singe s’exprimer devant des savants. Autrefois capturé sur les côtes d’Afrique, cet animal a préféré échapper à la cage du zoo. Il a donc été soumis à un apprentissage terrible. Mais il est si intelligent qu’il a tout d’un homme aujourd’hui… jusqu’à la parole. Mais veut-il au fond de son cœur d’animal, de cette humanité-là ?
Cette nouvelle avait frappé Alejandro Jodorowsky, il y a bien longtemps. Il l’a adaptée. Son fils en a créé une version italienne, puis anglaise. Elle se donne aujourd’hui en français au Lucernaire. Pas ou peu de décor, des lumières (Arnaud Jung), un costume qui laisse deviner le corps du gorille (Elisabeth de Sauverzac), une prothèse (Sylvie Vanhelle), du maquillage. Le « personnage » est un homme mais aussi un singe. C’est fascinant. L’adaptation d’Alejandro Jodorowsky est serrée mais sans raideur, comme la mise en scène. On pense aux exclus, à ceux que la société exploite et qu’elle rejette.
Brontis Jodorowsky parvient à être « ressemblant », mais il n’est jamais dans une composition grimaçante. Il nous donne à comprendre, sans mots, la profonde blessure du « personnage», de cet être qui n’est ni homme ni bête et dont l’intelligence ne fait qu’aviver les plaies. Ce gorille a les yeux verts et une sagesse bouleversante. Un moment très original, un interprète qui a la puissance physique et la finesse intellectuelle. Une performance d’autant plus magnifique qu’elle est chargée de sens et nous rend attentif à l’autre…
Lucernaire, Théâtre Rouge (tél. 01.45.44.57.34), à 18 h 30 du mardi au samedi. Durée : 1 h 05.
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